La douleur. L’incompréhension. Depuis le séisme provoqué par Cheongu, plus rien n’avait été pareil pour Si Yeon. Pour Personne.

A la base, il n’était question que d’une visite médicale. Un check-up complet, pour écarter les doutes et les complications possibles… Ses parents avaient lourdement insisté après l’avoir entendu hurler le martyr, un soir, à l’intérieur de son lit… Cela faisait déjà un mois que Si Yeon souffrait en silence. Elle souffrait sans l’exprimer à qui que ce soit. Sans doute trop fière ou trop confiante en ses capacités de régénérations. Comme toujours, lorsque ça n’allait pas, la belle utilisait ses dons pour guérir de façon instantané… Si la ruse avait plutôt bien fonctionné au départ, le mal qui semblait la ronger de l’intérieur n’avait de cesse de progresser jusqu’à atteindre l’un de ses organes vitaux… et non des moindres ; ses reins.

A aucun moment, elle ne s’était imaginée pouvoir tomber malade, de façon aussi fulgurante. Bien que fragile depuis toute petite, l’adolescente avait toujours su pallier la chose par le biais de sa nature seonchul. Mais en réalisant que cet organe malmené n’était pas quelque chose pouvant se guérir de lui-même, la belle avait finalement consenti à procéder à toutes sortes de tests médicaux… Une épreuve difficile pour une gamine de son âge. Notamment parce qu’elle avait consciente de ce qu’il lui arrivait avant même que les médecins ne le lui annoncent… Lire dans les pensées lui était toujours possible, même si dans l’état actuel des choses, elle s’en limitait au strict minimum, car vite exténuée.

Si Yeon avait donc fini par comprendre qu’elle souffrait d’insuffisance rénale, à un stade pour le moins critique. La cause n’en restait pas moins un mystère… Cela semblait s’être déclaré suite aux incidents du 7 octobre… Et sans être tirée d’affaire, la louve se voyait contrainte de rester plus longtemps que prévu à l’hôpital, sous la plus haute des surveillances… Bien que l’envie de s’éclipser en douce lui traversait souvent l’esprit, la brune finissait pas abandonner l’idée à l’approche d’une douleur lancinante. Et ce genre de douleur lui prenait de plus en plus fréquemment...

C’était comme si son état se dégradait de façon exponentielle, sans aucune explication scientifique possible…

Et le temps lui paraissait bien long, à l’intérieur de ses draps blancs, sans aucun moyen de contact avec le monde extérieur… Seul le bruit du poste télévisé habitait les murs de sa chambre froide et austère… Jamais de sa vie, elle ne s’était sentie aussi mal à l’aise dans la solitude… Plus que jamais, le sourire de ses proches lui manquait… Le rire de Vega, la bienveillance de So Yun, la bonne humeur de Sunhye, la franchise de Mee Joo… Mais aussi, la bravoure et la bonté de Woo Sik à son égard…

Pourquoi avait-elle l’odieuse sensation que tout disparaîtrait d’un instant à l’autre ?

Woo Sik avait été mis en congés quelques jours, du moins repos forcé pour le Lieutenant qui trépignait chez lui, plutôt soulagé de voir que son logement avait à peine été touché. Mais due à son bras cassé, le policier a été mis à l’arrêt forcé.

Par chance, il avait pu confier Siyeon aux urgences après la catastrophe passée. Et il se demandait comment elle allait. Il hésita avant d’aller à l’hôpital, mais il avait envie d’en avoir le coeur net. Après tout, Siyeon avait été sous sa responsabilité lors de l’incident, alors il était naturel qu’il aille lui rendre visite.

Comme l’île était encore en grand désordre, le policier ne put rien apporter, ne serait-ce que des fleurs. Alors il opta pour des bonbons qu’il avait chez lui. Prenant sa propre voiture, il réussit à aller jusque l’hôpital.

Là, de nombreuses personnes attendaient. Sûrement de pauvres gens sous le choc encore de la catastrophe. Il alla directement à l’accueil, demandant la chambre de Siyeon.
L’infirmière lui indique le chemin à faire, alors il s’y rend. Pourquoi se sentait-il nerveux ? Quelque chose au plus profond de son être semblait être chamboulé, comme anxieux. Et ça l’inquiétait.

Avant qu’il ne puisse atteindre la chambre de la demoiselle, le docteur en charge semblait l’avoir repéré, l’interpellant d’ores et déjà.

« Vous êtes un membre de la famille ? » questionna-t-il.
« Euh…Non pas vraiment, mais c’est moi qui l’ai amenée ici. Pourquoi est-elle encore ici ? Je croyais qu’elle n’avait qu’une jambe cassée aux dernières nouvelles. »

Le docteur sembla grave sur le moment presque trop solennel pour que Woo Sik puisse rester calme. Il y avait quelque chose de grave.

« Mademoiselle Ahn est malade. Elle souffre d’une insuffisance rénale importante. Elle nécessite un don rapidement. »

Le sol semblait se dérober sous ses pieds, comme s’il avait mal entendu ce qu’il venait de dire.

« Mais nous avons trouvé un donneur. »
« Oh vraiment ? Qui donc ? »
« Vous ! Vous êtes son frère non ? »

Ses oreilles bourdonnent. Il avait bien compris ce qu’il avait entendu ? Lui ? Le frère de Siyeon ? Comment était-ce possible ?

« Je vous demande pardon ? »
« …Vous n’étiez pas au courant ? »
« Docteur, comment je pourrais être au courant ? Il y a encore quelque jours j’étais policier faisant la chasse aux lycéens faisant l’école buissonnière et enfant unique »
« Oh, je suis…désolé de vous l’annoncer de manière brutale. Mais nos dernières analyses ont fait leur preuves en cherchant des correspondances pour les donneurs potentiels et vous apparaissez clairement comme étant son frère. »

Il eut un rire nerveux. Il se retrouvait avec une petite soeur dont il ne soupçonnait pas l’existence. Et soudainement, toute la rancoeur qu’il avait pour ce père absent lui remonta au cerveau. Il le haït encore plus, pour l’avoir non seulement abandonné lui et sa mère, mais en plus pour faire un enfant dans le dos des autres. Bien sûr, il n’en voulait pas à Siyeon, mais sa rancoeur semblait tenace.

« E…Et est-ce qu’elle est au courant ? je veux dire pour…notre lien de parenté ? »
« Non pas encore, vous voulez qu’on lui dise ? »
« Non…je préfère le faire moi-même. Merci docteur…je..vais réfléchir pour tout ce que vous m’avez dit. Et je vous donnerai ma réponse rapidement ».

Il serra la main du docteur et prit une bonne bouffée d’air. Il était au bord des larmes. Il ne savait pas s’il était heureux, choqué ou déçu. Enfin, il était un mélange de tout ça. Il se tourna vers la porte de Siyeon où il toqua deux fois avant d’entrer, essayant d’arborer un sourire naturel, mais les larmes d’émotions étaient trop forte pour lui et il se mit à pleurer en la voyant, sa petite soeur.

Sans être en mesure de comprendre ce qui se disait depuis l’autre côté de ces murs, Si Yeon percevait une conversation depuis le couloir, menant à sa propre chambre. Elle s’était habitué à certaines voix et il ne faisait aucun doute que l’homme qu’elle entendait, s’occupait également de son cas… Quant à la seconde voix, la louve n’en était pas totalement sure mais il lui semblait qu’il s’agissait de Woo Sik… Elle espérait, et elle redoutait que cela puisse être lui. Dans l’état actuel des choses, elle ne ronchonnait devant aucune compagnie. Cependant, certaines se voulaient plus embarrassantes que d’autres… Et entre le lieutenant et elle, il avait toujours été question d’une alchimie un peu étrange. Un lien dont elle ne s’expliquait pas, mais qu’elle savait tout au fond d’elle, fort… presque indestructible.

Jusqu’à présent, il ne l’avait jamais vu autrement qu’en tenue d’écolière et aujourd’hui, il aurait le luxe de la voir accoutrée de sa robe de chambre d’hôpital ! Voilà peut-être ce qui l’embarrassait le plus, en définitive. C'était presque aussi pire que se retrouver la tête à l’envers, coincée dans un véhicule sur le point d’exploser ! Et au moment où la porte se déverrouilla, son petit cœur manqua un battement à l’approche de Woo Sik, une expression inhabituelle sur son visage… Que lui arrivait-il tout à coup ? Venait-il d’apprendre une mauvaise nouvelle ? Elle n’osa pas non plus lui demander si cela avait un rapport avec elle... La peur de ce qu'elle entendrait… Après tout, les médecins avaient peut-être omis de lui dire toute la vérité ? Elle n’était qu’une enfant pour bon nombre d’entre eux… Et Si Yeon réalisait n’être pas tout à fait prête pour tout entendre… Pas dans son état.

« Lieutenant Han ? Qu’est-ce que tu fais ici... C’est un peu gênant... » osa t-elle, timidement, en tirant sur les pans de sa couverture, pour les remonter contre elle. « J’ai sûrement une mine affreuse… Ahh. Mais tu sais, je serais bientôt sur pieds ! On m’a dit d’être patiente. » La greffe, on lui avait vaguement évoqué l’opération. On lui avait expliqué qu’elle en aurait besoin pour se remettre complètement… Cependant, les donneurs ne courraient pas les coins de rues, à moins de posséder un proche parent ou une personne compatible. Ce qui n’était pas forcément gagné… « E-Est-ce que ça va ? T’as l’air bizarre... » osa t-elle formuler, peu assurée. Jusqu’à présent, il s’était toujours montré si sur de lui, en toutes circonstances… Le médecin lui avait forcément dit quelque chose. Il ne pouvait pas en être autrement.

Tout était en train de se bousculer dans sa tête. Était-ce une plaisanterie ? Durant l’ombre d’une seconde, la brune hésita franchement entre rire, ou pleurer. A en juger par l’expression de son aîné, ce qu’il avançait, était bel et bien sérieux. Comment était-ce possible ? Comment pouvait-il être son frère ? C’était insensé… Donner son rein pour elle avait été une claque psychologique des plus improbables, mais apprendre qu’en plus de cela, ils étaient liés par le sang… Non, impossible. Et si le silence s’imposa entre eux, les explications de Woo Sik qui s’en suivirent ne l’aidèrent pas franchement à se calmer. Prise d’angoisse et d’un sentiment d’injustice, son regard se renfrogna devant le fait accompli. « C’est faux… Tu délires ! Comment est-ce que je pourrais avoir un frère ? Mes parents sont… Ils m’ont abandonné à la naissance ! Pourquoi toi, tu... » Pourquoi avait-elle été la seule à souffrir du manque d’une famille ? Pourquoi avait-il grandi dans un véritable foyer, et pas elle ? Si Yeon savait évidemment ce qu’impliquait le terme « demi », mais tout de même… Cela revenait à dire que l’un de leur parent l’avait rejeté à la naissance… Comment avait-on pu lui faire ça ? Et le cacher à Woo Sik ? Non, elle ne voulait pas y croire… Elle ne pouvait plus soutenir le regard de ce frère, qui, quelques instants auparavant n’était encore qu’un sergent dont elle avait osé défier l’autorité...

La louve se réfugia sous ses couvertures, se cachant délibérément de la vue de ce dernier pour masquer les larmes qui tombaient sur ses joues. Pour le moment, elle ne parvenait pas à se réjouir de la nouvelle. Se réjouir qu’elle pouvait être sauvée et qu’elle n’était plus seule… Qu’elle possédait une vraie famille, quelque part… La colère s’exprimait en premier lieu. « Je ne veux pas de ton rein… Garde-le. Je me suis toujours débrouillée sans l’aide de personne… Ce que tu dis ne changera rien. » Bien au contraire, ça changeait tout, sauf que la nouvelle était encore trop vive à digérer et à accepter… Se doutait-il un seul instant de ce qu’elle avait traversé durant ses dix-sept années ? Car oui, Woo Sik l’ignorait totalement bien sûr, mais deux jours plus tôt, la belle avait soufflé sa dix-septième bougie. Née un 13 novembre. Un chiffre que l’on associait souvent à de la malchance et au malheur… A croire qu’elle était destinée à ça toute sa vie… Et le plus terrifiant était de se dire qu’ils ne savaient rien de l’autre… « Tu sais, avant-hier… c’était mon anniversaire, et j’étais enfermée ici... » sanglota t-elle dans un mélange de remord et de tristesse incontrôlée. Une petite fille chétive, voilà ce qu’elle était réellement tout au fond de son cœur.

Elle savait que cette situation était tout aussi éprouvante et inédite pour lui. Elle l’avait compris à sa démarche dès le départ… Le destin se jouait réellement d’eux… Les yoghwis étaient-ils impliqués de prêt comme de loin à cette mascarade ? Après tout, n’étaient-ils pas les illustres élus choisis par ces derniers ? Était-ce un hasard qu’elle, comme son frère caché, se retrouvent tout deux maîtres d’un destin qu’ils ne contrôlaient pas ? Tout était bien difficile à suivre et à comprendre… Les larmes ne cessaient de perler sur son visage. Pleurer, n’était pas une pratique si courante chez la jeune louve, d’ordinaire si forte et imperturbable… Tout cela faisait beaucoup pour une gamine de son âge. Mais aurait-elle été si différente en le découvrant quelques années plus tard ? Probablement pas à en juger la réaction de son aîné… Et à foncièrement y penser, il n’y aurait peut-être jamais eu de plus tard. Les médecins ne le lui disaient pas très clairement, mais elle savait que ses jours étaient comptés… Il y aurait de fortes complications à venir si elle refusait cette greffe pour en attendre après une autre. Son avenir se jouait dès à présent, aux côtés de son frère.

« Arrête de dire que t’es désolé ! A-arrête, laisse-moi tranquille. » balbutia t-elle en lui coupant délibérément la parole. Pour autant il ne s’arrêta pas là, bien à l’inverse. Ce n’était pas contre lui qu’elle était fâchée. Woo Sik n’avait simplement pas à porter ce fardeau… C’était ainsi qu’elle le voyait. Et alors que la brune se tournait sur le côté, toujours camouflée sous ses draps, le monologue de son demi-frère l’immobilisa sur place. Elle ne voulait pas écouter. Elle ne voulait rien entendre mais… ce qu’il révéla au sujet de son ancienne petite-amie lui fit froid dans le dos. En l’écoutant ainsi se confier, l’adolescente cessa de pleurer pour l’écouter avec attention, toujours aussi meurtrie, mais pour une raison bien différente.

Durant la pause qu’il marqua, la brune s'extirpa de sa planque, les joues rougies par les larmes et l’émotion, le regard toujours aussi larmoyant… sauf que quelque chose venait de changer. Il ne s’agissait plus seulement de son petit malheur personnel mais aussi des souffrances de Woo Sik. Sa peine qui l’atteignait et qui la touchait de façon si singulière. Et ce qu’il lui prononça sur la fin la paralysa de plus belle. Son cœur rata un battement alors que jamais personne, sur cette triste terre, ne s’était déjà déclaré à elle de la sorte pour obtenir son amour. Jamais personne, avant lui… « D’accord... » prononça t-elle dans un murmure. Un nouveau sanglot la regagna alors qu’elle se jetait dans les bras de ce dernier, encore bien maladroite et ne sachant quoi lui dire pour le consoler, le remercier et surtout, s’autoriser à l’aimer en retour... Elle doutait également de ses capacités à devenir une petite sœur exemplaire. Cela ne s’improvisait sûrement pas du jour au lendemain. Et dire que durant tout ce temps, elle s'était imaginée finir seule, toute sa vie. « C’est d’accord… O-oppa. » Tout allait définitivement changer à partir de maintenant.