Alors, où suis-je soudainement projetée en ce début de journée? Des PNJs excités se pressent autour de moi, mais je ne sais pas encore pourquoi. Nous sommes dans une école, de ce que les uniformes aux jupes plissées et beaucoup trop courtes me laissent savoir. Difficile d’en savoir plus tant que les mots descriptifs ne sont pas tombés, établissant la scène de leur chute. Allons-y pour un tour d’horizon:

- Un corridor de lycée.
- Des élèves animés qui se hâtent dans la même direction.
- Je porte le même uniforme qu’eux.

Ayant résolu le où et le quoi - le qui fait toujours référence à moi - ne reste plus que le pourquoi à déciférer. Naturellement, j'emboite le pas à l'inarrêtable procession: une marée humaine aussi entraînante est toujours un signe certain d’en-haut. Le mouvement m’emmène en haut d’un escalier et au travers de plusieurs couloirs, folle course qui ne durent que quelques secondes. Devant moi, le flux s’arrête pour se masser devant un grand tableau d’affichage - très dramatique. Serait-ce là ma quête pour cette courte histoire? J’ignore et je sais à la fois ce qui s’y trouve, ce que les feuilles de papier parfaitement alignées sur le support en liège vont m’annoncer. Malgré la foule, j’avance sans problème jusqu’à mon objectif, les PNJs s’écartant sur mon passage en souriant, se souvenant soudainement qu’ils n’ont pas vraiment besoin d’exister pour que mon histoire se déroule. Campée devant la longue liste de noms à trois syllabes, je lève les yeux avec un mélange d’espoir et d’appréhension qui se développe alors même que mes yeux se posent sur le titre principal.

Résultats de l’examen d’entrée à l’université

Je comprends qu’un titre si générique a été choisi parce que le nom de cette université n’a pas encore été déterminée. C’est peut-être sans importance, sinon je l’apprendrai plus tard. Non, l’emphase est plutôt mise sur les interminables rangées de noms qui s’étendent sous le titre, que je parcours du regard sans apparemment avoir la force de passer directement aux 김 - c’est encore une fois negligible, ㄱ étant la première lettre de l’alphabet et limitant ainsi cette scène à quelques moments, jusqu’à ce mon nom apparaisse à l’écran.

Une certaine pression pèse sur les épaules de Mee Joo. Les Choi ont accepté de la fiancer à leur fils et de prendre en charge le jeune Jae Sun, alors même que leur chère mère s’en est allée avec son précieux troisième mari. Pour ce bon geste, Mee Joo doit leur faire honneur et montrer qu’elle est un bon parti en obtenant le meilleur des scores. Ils sont plus gentils que ne l’a jamais été sa génitrice, il n’empêche qu’au fond ils ne sont pas différents. L’un comme l’autre accordent beaucoup d’importance aux apparences. Avoir le meilleur des scores à l’examen lui offrirait une reconnaissance certaine. L’adolescente n’était pas le genre de petit génie qui réussit tout en un claquement de doigt. Ses excellentes notes étaient toujours dues à un travail immense. Aussi, pour cet examen, elle avait passé des semaines entières perdue dans les livres en espérant pouvoir atteindre l’objectif qu’elle s’était donné. Ou plutôt l’objectif que les Choi espéraient qu’elle atteigne.

Les couloirs sont bondés de monde mais Mee Joo n’éprouve pas de grandes difficultés à se hisser jusqu’aux nombreuses feuilles où sont inscrits les résultats de chacun. Ils la connaissent tous. C’est la princesse soleil, celle qui sourit toujours et vient en aide à tous, se montrant empathique et attentive. Une des meilleures élèves du lycée avec une popularité encore plus grande que ses diverses notes. Mee Joo la populaire. Cette image qu’elle se traîne depuis les premiers jours. Une image qui ne lui correspond pas mais dont elle a su s’habituer, avec le temps. Parce qu’on lui a toujours appris que les apparences comptaient plus que tout, et qu’il vaut mieux être admirée que rejetée par les autres. Parce que beaucoup de personne ne vivent qu’à travers l’image que l’on renvoie aux autres. Sa mère faisait assurément partie de ce genre de personnes.

L’appréhension monte doucement en elle, car la pression des Choi est finalement plus forte que celle de sa génitrice. Un mariage et son frère son en jeu, bien qu’elle refuse le premier. Mais ce n’est pas le moment pour s’attarder sur son refus d’épouser qui que ce soit. Elle n’est pas encore majeure et aura tous le temps d’y penser plus tard. Pour l’heure, la brune s’approche du tableau en souriant aux autres. Quelle note va-t-elle obtenir ? Elle suit des yeux la liste de nom, jusqu’à tomber sur les nam. Elle inspire, expire. Son regard suit la liste. Et elle prie. Elle prie pour que ses efforts aient portés leurs fruits et que toutes ces heures, jours, semaines à réviser et apprendre servent à quelque chose. Pendant un court instant, elle ferme les yeux, se préparant à une possible déception. Au minimum, elle espère être classée dans les dix premiers. Au minimum.

Envahissement.
J’ai le souffle coupé, figurativement. J’entends les PNJs parler entre eux, mais pas de leur brouhaha régulier qui ne fait aucun sens. Non, ils parlent véritablement à quelqu’un d’autre. Quelqu’un qu’ils souhaitent me présenter. Ou me présenter moi à elle. Enfant du diable, quelle est cette chose? Elle a un visage sans qu’on doive me le décrire. Un nom qui se détache d’entre les autres. Que je sais, naturellement, avant même que quiconque ne me l’annonce. Nam Mee Joo. Qui es-tu?

Bouche bée, je la regarde de haut en bas. Elle existe. En trois dimensions, en vrais mots qui ne viennent pas d’en-haut. Non, ils viennent de l’au-delà, de plus loin, d’un endroit que je n’imaginais pas exister. Un univers parallèle qui croise le mien? Deux soleils dans le même système solaire?

Non.

Impossible.

Elle s’adresse à moi et je frissonne. C’est la première fois que j’entends une voix. Elle est magnifique, incroyablement parfaite, une beauté qui n’a d’égale que moi. Ses yeux brillent d’intelligence, ses cheveux sont parfaitement lisses, sa peau d’un teint uni, rosé, frais et sain. Onze sur dix, et encore.

« Oui, c’est bien cela. Félicitations à vous aussi, Nam Mee Joo! » Les mots sortent tous seuls, naturellement, tandis que je m’incline et lui souris gentiment, mes dents splendidement blanches lui renvoyant probablement son reflet.

Je n’ai jamais eu la prétention de penser que je contrôlais ces histoires auxquelles je participe. Mais j’ai toujours pensé que j’en étais la seule héroïne, le personnage principal, la seule qui importe vraiment. Alors que faire de cette nouvelle aventure? Que faire devant cet élan d’imprévisibilité, de choix qui ne me sont plus lisibles au moment où ils sont posés sur papier?

Difficile de tenir une conversation avec un être duquel je n’ai aucune idée de la manière dont il va faire avancer l’histoire. « Avez-vous déjà choisi à quelle faculté vous allez vous inscrire? »  Ces pauses entre chacune de mes phrases me paraissent étranges, mais elles ne se reflètent jamais vraiment dans l'expérience des autres - les PNJs n’y font jamais attention, du moins, parce qu’ils ne perçoivent pas la temporalité de la même manière que moi. Ils n’existent que par brefs moments à travers certaines phrases, avant de disparaître. Mais pas Mee Joo, elle reste là, bien en chair et en os, ses traits toujours clairement tracés devant moi, tandis que ceux des autres s’effacent derrière elle. Est-ce qu’elles les voient comme moi? Impossible de lui demander sans casser l’histoire.

Des amies me rejoignent par derrière, s’exclamant de mon - nos - résultat avec enthousiasme. Rien de tel qu’une petite armée pour me redonner confiance en ma propre importance. Tu ne me voleras pas ma place, Mee Joo! « D’ailleurs, vous êtes nouvelle ici, je ne crois pas que l’on se soit déjà vues? » Peut-être que si elle se pense invisible, elle va retourner d’où elle vient..?

Naturellement, la jeune femme la félicite à son tour en prononçant son prénom, juste après qu’elle ait confirmé son identité. Un sourire brillant et un inclinaison accompagnent ses paroles, flattant l’égo de Mee Joo. Bien qu’il ne soit pas très grand, c’est toujours agréable d’entendre ce genre de paroles et d’être félicitée pour son travail. Les heures passées à apprendre des citations, dates, formules et théories n’ont pas été vaines. Son cœur gonfle dans sa poitrine et elle espère que sa nouvelle famille ainsi que son cher fiancé seront aussi fiers d’elle, si ce n’est plus. Si Jae Sun n’était pas enjeu, alors peut-être qu’elle aurait intentionnellement obtenu de mauvais résultats pour éviter ce foutu mariage. Mais dès qu’il est question de son jeune frère l’adolescente n’est plus capable de penser à son propre bonheur. C’est celui de ce petit garçon qui a toujours compté et qui comptera toujours. Cela pourrait s’apparenter à du chantage, même s’il n’en est pas véritablement. Les Choi ne lui ont jamais mis un couteau sous la gorge. Cette situation n’existe qu’à cause de sa génitrice. Elle est le seul monstre de cette histoire.

La première question concerne la faculté sur laquelle pourrait se porter son choix. Même si elle n’y a pas véritablement réfléchit, Mee Joo fait au moins semblant de réfléchir. Sans doute que les Choi choisiront la plus prestigieuse de Jeju, puisqu’en tant que seonchul elle est bien incapable de quitter cette île de malheur. Pas plus de quelques jours. Si on se penche un peu sur son avenir apparemment tout tracé, peut-être que l’économie est le meilleur choix pour épauler Dong Chul dans son rôle d’héritier de l’entreprise paternelle. Alors qu’elle se perd dans ses pensées en essayant de trouver la meilleure réponse à fournir, un attroupement se forme derrière Yeong Sook. Des filles s’exclamant de leurs résultats si parfait. Comment a-t-elle pu louper cette fille si populaire au cours des dernières semaines ?

« Non. Je ne suis pas nouvelle. J’étudie dans ce lycée depuis les toutes premières classes. Mais j’ai été très absente ces derniers temps. » A cause du séisme, de son hospitalisation, de la recherche d’un nouveau foyer. D’autres filles les rejoignent et confirment les propos de l’adolescente, affirmant même qu’elle a du terriblement souffrir de la catastrophe. Grâce aux yoghwi, son corps guérit bien plus vite et est bien plus résistant que celui des simples lycéens autour. Mais ça, ils l’ignorent. Ils savent seulement que Mee Joo a été ensevelies sous les murs d’une épicerie et que sans l’aide des habitants de l’île, elle n’en serait pas sortie vivante. « C’est peut-être pour cette raison que vous ne me connaissez pas… » Le nez de la jeune fille se plisse légèrement, montrant un mécontentement qu’elle tente vainement de retenir. Il faut croire qu’un soleil qui s’éteint n’existe plus aux yeux de la galaxie restante. La plupart des élèves ont arrêté de parlé d’elle et sa popularité s’est aussi vite envolée. Ce qui n’est pas pour la réjouir.

L’adolescente croise ses bras sous sa poitrine, se demandant comment cette jeune fille a réussi à devenir si populaire en son absence. Sans doute son sourire parfait, sa peau lisse, ses cheveux brillants et son corps idéal, en plus de superbes capacités intellectuelles et d’une voix qui se veut emplie de bonnes attentions. Presque comme Mee Joo. « J’imagine que vous voudrez intégrer une des meilleures universités de la capitale. Toucher le ciel : SKY. Avec de telles notes… Ce serait idiot de rester sur Jeju. » D’une certaine manière, la jeune femme venait elle-même de se traiter d’idiote puisqu’elle allait rester sur Jeju pour ses études. Mais sa condition était différente, bien que la majorité des élèves l’ignorent. Seuls les élus des dieux comme elle pouvait savoir que c’est cette raison qui la poussait à rester ici. Et c’était une chose tacite entre eux ce ne pas se dénoncer. Et Yeong Sook n’était clairement pas une seonchul.

Mee Joo ne l’avouera pas, mais c’était aussi une manière de lui suggérer de partir afin qu’il ne reste plus qu’un seul soleil. Avec les attroupement dans leurs dos, elles semblaient véritablement être deux rivales avec chacune son armée prêt à la défendre et attaquer le camp adverse. « Enfin… Si Jeju vous plait je ne pourrais que comprendre votre choix. Moi-même je compte rester sur cette île. Elle est bien trop belle et paisible pour que je l’abandonne au profit d’une capitale bondée et irrespirable. » Plusieurs voix s’élevèrent mais Mee Joo n’y prêta pas attention. Son regard était uniquement concentré sur ce petit bout de femme face à elle qui était clairement différente de toutes les autres derrière elle. Les paroles de l’adolescente sonnaient faux, mais les autres lycéennes ne semblaient pas y prêter attention. De toute manière, elle s’était toujours exprimée ainsi au lycée. Avec cette amabilité toute peinte qui ne définissait absolument pas qui elle était au fond d’elle.