first meeting.

dans un restaurant,


Regardant le paysage printanier qui se trouve face à elle, Bo Yeong se sent quelque peu nerveuse, essayant toutefois d’oublier le but premier de sa présence en ces lieux. Ses mains se font moites et son cœur palpite contre sa poitrine, si fort qu’elle a le sentiment d’avoir mal aux tympans. Son visage est crispé et elle ne cesse de rire nerveusement. Un frisson d’effroi lui parcourt le corps, tandis que ses yeux ne cessent de regarder l’issue de secours, au cas où. Elle ne sait pourquoi elle a accepté cette offre faite par ses parents. Certainement pour leur faire plaisir, par obligation ou simplement par curiosité. Elle ne sait pas. Elle regrette juste d’avoir cédé, si facilement, sans leur tenir tête. Pourtant elle leur a déjà bien spécifié qu’elle n’en voulait pas. Qu’elle n’en voudra jamais. Et qu’elle n’en a pas besoin. Elle est très bien seule. Sans homme. Sans attache. Mais ils ont insisté, lui faisant quelques reproches, et lui renvoyant cette image de négativité qui pèse déjà bien lourd sur ses frêles épaules. Alors, pour cesser d’entendre ces mots blessants, elle a dit oui. Pour être en paix. Mais elle ne l’est plus maintenant que le jour j est arrivé. Elle se sent oppressée. Mal à l’aise. Elle ne sait pas comment se positionner, elle ne sait pas comment s’asseoir. Elle sent la nervosité qui monte, de seconde en seconde. Elle ne sait même pas à quoi il ressemble, quel genre d’individu il est. Elle sait que ce n’est qu’un premier et stupide rendez-vous de courtoisie, organisé par les deux familles, et qu’une suite n’est certainement pas envisageable. Il faut dire que Bo Yeong n’est pas comme les autres filles. Elle est différente. Une différence pesante mais qui est devenue une habitude pour la jeune fille. Et sur beaucoup de plans. Enfin qu’importe. Dans tous les cas elle est sûre que cette première rencontre ne va pas être reconduite. Elle le sait. Même sans le connaître, même sans savoir qui il est, elle prévoit déjà la finalité. Mais parfois le destin est joueur.

Elle jette un dernier regard à sa montre, vérifiant l’heure pour la énième fois. Il ne devrait pas tarder. Juste au moment où elle le pense, elle sent une silhouette en approchant, semblant la fixer du regard. Elle avale difficilement sa salive. Ça doit sûrement être lui. Il est sûrement déjà arrivé. Elle prend une grande inspiration et au moment où la silhouette arrive à ses côtés, elle se lève, mécaniquement, se penchant tout de suite en avant. « Bonjour » dit-elle rapidement. Un peu trop rapidement à son goût. Lorsqu’elle relève enfin son visage vers son interlocuteur, elle s’arrête quelques secondes de respirer, ne s’attendant pas à un tel . . . homme. Et elle se sent davantage mal à l’aise. Elle aurait préféré un tout autre physique, plus rassurant. Pour elle. En plus son visage ne lui est pas inconnu. Certainement qu’elle l’a déjà croisé dans les couloirs de l’école ou de l’université. Elle ne sait plus où se mettre.

first meeting.

dans un restaurant,




t'avais dit non. t'avais dit non, tu t'étais même énervé, t'avais même crié, gueulé, juré, promis que t'allais leur faire honte, la baffer, ou pire encore, l'humilier. mais eux, eux, ils ont dit que si, si, t'y iras, peu importe ton avis, peu importe ce que t'en penses. alors t'es là, mon pauvre jethro, mains enfouies dans tes poches, à traîner des pieds, à abîmer tes baskets - parce que ouais, aussi, plutôt crever que sortir plus habillé que ça. t'as décidé que t'allais la dégoûter, la pauvre fille ; t'as décidé que non, t'allais pas te marier. oh, ouais, tu trouves ça ridicule, d'ailleurs. te marier ? bon, bien entendu, c'est pas comme en inde, ouais, encore heureux. c'est juste un "on sait jamais, si elle te plaît... vous pourriez vous marier.". "juste". c'est affreux, horrible. la mort. puis t'aimes personne ; elle te plaira pas. sérieux, la dernière fois, y'a une nana, là, super jolie, tu t'en souviens à peine, douce, plutôt maline, bien entourée ; mais elle avait un truc qui te plaisait pas. quoi ? elle zozotait, un tout petit peu et toi, putain, tu trouves ça abjecte. difficile, jethro, pour toi comme les autres, tu réalises pas que là, tu te lances dans la gueule du loup - qui sait, c'est toi, qui en sortira humilié, perdant ? non, t'y crois pas.

soupir, t'entres, sonde la salle - et tu la trouves, en deux secondes. petite, frêle, naive, tu le sens à des kilomètres. à tester ; peut-être qu'avec un sourire ou deux, elle te tombera dans les bras (et tu pourras jouer). gênée, déjà, quand elle lève ses yeux sur toi, ou surprise - on t'a pas décrit ? haussement de sourcil ; tu jettes la politesse, tire ta chaise, et t'y assois. jambes croisées, coudes sur la table, t'es toujours silencieux. muet. une tombe. et tu la regardes - simplement, sans aucune expression. tu la regardes, juste. là, ses yeux, ils ont l'air aussi ravis que les tiens - elle veut pas, elle non plus, hein ? encore heureux. cinq minutes ; tu souffles enfin, comme si tu laissais s'échapper toutes tes petites pensées. le premier mot, le plus important. un bonjour ? simple, tellement simple, beaucoup trop simple. elle est simple. rha ; tu secoues la tête, légèrement, guette un serveur - pas un en vue, génial. tu vas devoir parler, n'est-ce pas ? alors tu racles ta gorge, éclaircis ta voix, et tu dis, là, monotone, monocorde, « comment, déjà, boyong ? boyeong ? boyung ? qu'importe. qu'on soit clairs ; j'ai pas envie de me marier avec toi, même pas d'essayer. » dur ? ça va, c'est rien - le pire reste à venir. sourcil haussé, alors que tu vois un serveur bien trop pressé s'approcher de vous, tu rajoutes ; « mais, bon, j'dois rester au minimum une heure avec toi. » oui, parce que "essaye, vraiment" et si tu le fais pas, "tu devras travailler pour gagner ton propre argent".

first meeting.

dans un restaurant,


Sa froideur la glace et pendant quelques secondes elle a envie de disparaître. Et regrette davantage. Pourquoi a-t-elle encore accepté ? Elle ne sait même plus. Elle s’assoit donc juste sur la chaise après lui, sans un bruit, particulièrement mal à l’aise face à cette situation oppressante. Elle n’a même pas eu de retour, pas même un bonjour. Rien. De quelle famille vient-il déjà ? Elle ne sait pas si la politesse est chose courante chez le jeune homme et en dehors de son physique, certes avantageux, il ne doit pas avoir autre chose. Il manque certainement d’éducation, du moins c’est ce qu’elle pense dans l’immédiat. Et puis il a l’air hautain. Le type de personne qu’elle n’apprécie pas forcément, capable de la ridiculiser et se prenant sûrement pour bien mieux qu’autrui. Au-dessus des autres. Mais elle ne dit rien. Elle ne doit pas juger sur une simple et stupide impression. Et puis, il est normal d’être réticent à l’idée d’être ici, de devoir partager un repas avec une parfaite inconnue. Inconnue bien loin des idéaux coréens. Elle pose ses mains sur la table, ses doigts s’entremêlant pour essayer de faire passer son embarras, qui est de plus en plus présent. Et puis elle sursaute. S’ose à le regarder. Croise son regard. Baisse à nouveau les yeux, rougissant légèrement. Il parle au moins, c’est un premier pas, mais elle n’arrive pas encore à le regarder de face. C’est assez perturbant et c’est la première fois pour elle. Certes elle ne peut pas considérer ce moment comme un véritable rendez-vous mais ça en a l’air en tout cas.

Elle esquisse un petit sourire, comprenant les paroles du jeune homme, finissant par se redresser, juste un peu, pour croiser son regard si explicite. Lui non plus ne semble pas être en accord avec les désirs de ses parents. Lui non plus ne semble pas vouloir se marier avec elle. C’est déjà un bon point, et la seule chose qu’ils peuvent avoir en commun. Cela dit, le simple fait qu’il soit autant réfractaire la blesse. Légèrement. Elle ne lui demande pas d’essayer et elle ne veut pas essayer non plus, elle sait d’avance que c’est perdu, mais c’est toujours vexant d’entendre de telles paroles, si abruptes. Sans l’ombre d’empathie. Au moins il a la gentillesse de bien vouloir lui tenir compagnie au moins une heure. Ce n’est pas facile pour elle non plus et elle n’a jamais demandé à le voir, personnellement. C’est juste sa famille. « Je suis en effet autant victime que toi dans cette histoire » dit-elle fronçant malgré elle ses sourcils. Mais elle se reprend rapidement ne préférant pas renvoyer son animosité, qu’elle n’en a pas.  « Et une heure je pense que c’est largement suffisant. Nous ne sommes pas obligés de parler, juste peut-être . . . manger » dit-elle en voyant le serveur en approche, carte en main. Et dire qu’elle va devoir manger devant cet inconnu, c’est assez perturbant, surtout s’il ne parle pas. Elle prend rapidement la carte que lui tend le serveur, plongeant son visage devant celle-ci pour mieux se cacher. Combien de temps ça va durer ? Est-ce qu’elle va supporter cette pression ? Et si elle fait mine d’aller aux toilettes et qu’elle prend l’issue de secours ? Oui mais elle ne peut pas agir ainsi, en le laissant. Même s’il a l’air antipathique elle se voit mal le laisser sur sa chaise, l’attendant. « C’est Bo Yeong. Au fait . . . et toi ? » dit-elle finalement en abaissant légèrement la carte pour le voir. Juste un peu. Juste assez.