((tenue)) Une semaine et trois jours de silence. Une semaine et trois jours que je n’avais de cesse de vérifier mon téléphone, à chaque heure, puis à chaque minute, puis plusieurs fois en l’espace de quelques secondes. C’était la première chose que je faisais avant d’aller me coucher, en entrant dans mon bureau, en commençant ma pause, avant d’aller manger. Ma collègue n’avait de cesse de me dire d’arrêter, d’être patient, que Yura m’enverrait un message quand elle se sentirait prête. Et même si je savais qu’elle avait entièrement raison, je ne pouvais m’empêcher d’agir comme un addict en manque.

Alors quand ce si attendu message est enfin arrivé, c’est avec des mains tremblantes que j’ai répondu et une boule au ventre. Dans quelques heures j’allais enfin la revoir mais surtout, dans quelques heures, je saurais s’il est possible d’arranger les choses entre nous. Ou si elle a décidé de me rayer de sa vie. C’est peu dire que d’affirmer avoir passé le reste de ma journée dans un état de stress que je n’avais plus connu depuis un long moment. Si mes souvenirs sont bons, la dernière fois que j’avais été aussi stressé fut quand ma petite fille venait au monde. Mais là aussi, c’était un stress bien différent.

Quand je me suis levé de mon bureau pour rentrer chez moi, il me restait encore une bonne colline de papiers à ranger, signer, vérifier. J’en ai emporté quelques uns pour au final, les laisser enfermer dans mon sac, balancé sur le canapé une fois rentré. Avant de prendre une douche, je range mon appartement au mieux, bien que je sache qu’elle n’arrive que dans vingt minutes. Plus le temps passe et plus mon stress augmente, à tel point que j’en manque de glisser dans ma baignoire, me cogne avec des placards et fait tomber tout ce que j’ai entre les mains pour plus de deux secondes. Catastrophe que je suis.

Puis elle est là, devant moi sur le pas de la porte et je perds encore un peu plus mes moyens. Et même si ça ne fait qu’une semaine et trois jours, elle m’a manqué. J’ai envie de la serrer contre moi et de ne plus la lâcher, elle qui est si belle, que j’aime tant. C’est Gollum, cet adorable petit chien, qui me sort de ma rêverie.

“Bonjour. Non, ça ne me dérange pas. Entre, je t’en prie.” Même mon sourire porte la marque de mon stress, alors que je me décale pour la laisser passer. Une fois la porte fermée, je l’accompagne jusqu’au salon où on peut voir que j’ai déjà préparé du thé. “J’ai fais du thé si tu en veux,” je m’installe sur le canapé, lui faisant signe de faire de même. “je ne vais pas te cacher que je suis très stressé, et du coup maladroit donc si tu veux te servir, fais comme chez toi. Je n’aimerais pas te renverser le thé dessus...” Je tente par la suite un petit sourire, toujours aussi nerveux.  

Je bois une gorgée de la tasse que je m’étais déjà servie, essayant de me calmer comme je peux. Puis soudain, je me dis que c’est la première fois qu’elle est dans ce nouvel appartement. Appartement plus grand, moins miteux mais pas pour autant plus chaleureux. Dans mon salon, on peut apercevoir une étagère avec de nombreux livres, des romans, des biographies, des livres sur comment devenir un bon père - livres que j’ai depuis mes dix huit ans et que je n’ai pas réussi à jeter - mais aussi quelques cadres photos. De ma fille, bien évidemment. Le jour de sa naissance, la première fois qu’elle a marché, son premier bain...Puis une photo de nous deux endormis dans un lit. Seule touche personnelle dans mon appartement, cette étagère à souvenirs. Le reste est vide, il n’y a que des plantes et babioles étranges sur un buffet, une grande télé sur son meuble vide, une cuisine ouverte peu décorée, presque immaculée puis un couloir non-éclairé, menant aux chambres et salle de bain. Impersonnel, une copie conforme des catalogues ikea.

Mes mains tremblent légèrement alors que je prends une autre gorgée. “Tu voulais qu’on parle..?” Je n’ai pas l’air confiant et je ne cherche pas à l’être, je ne le suis pas le moins du monde. J’aurais pu essayé de retarder cette conversation, mais à quoi bon? Le résultat sera le même, qu’on en parle maintenant, dans une heure, un mois, ou dix ans.

((tenue)) Savoir qu’elle est tout aussi stressée que moi d’avoir cette discussion, alors que c’est elle qui a les cartes en mains, ne me rassure pas du tout. Dans ma tête, je me dis qu’elle sait que je veux la retrouver, pouvoir l’appeler ma petite amie, m’endormir près d’elle et me réveiller en embrassant son cou. Alors pourquoi serait-elle inquiète? Je ne risque pas de la rejetée. Je l’ai perdu pendant cinq mois, et pas un de plus. Je ne pense pas que je le supporterais. Elle doit certainement être stressée pour une autre raison, mais je ne peux m’empêcher d’imaginer cette conversation tourner au cauchemar. Je me tord les doigts quand je ne bois pas du thé, ma jambe n’arrête pas de tressauter...Je ne pensais pas être aussi peu à l’aise en présence de Yura une fois dans ma vie, elle qui a pour habitude de me faire sentir en paix.

Plus elle parle et plus je comprends pourquoi elle était aussi stressée et pourquoi elle l’est toujours autant. Je ne dis pas un mot, je la laisse simplement parler, m’expliquer sa version de l’histoire, de mon absence. Et malgré ma honte de l’avoir autant blessée, mes yeux restent ancrés dans les yeux. Je ne veux pas flancher, je veux lui montrer que je suis sérieux, que je n’essuie pas ses sentiments en ne pensant qu’aux miens. Et pourtant, rien ne me prépare pour les mots qui sortent de sa bouche. Je sens mon coeur se resserrer, mes mains également. À tel point que mes ongles, si courts, se planteraient presque dans la paume de celle-ci. J’aimerais faire quelque chose, mais à part la regarder avec des larmes pleins les yeux, je reste cloué sur mon canapé. Que dire? Que faire? Rien, car elle n’a pas terminé. Alors je me retiens, j’essaye de ne pas pleurer, mais de savoir que je l’ai blessé à ce point...ça me tue, à petit feu. Plus les secondes défilent et plus j’ai l’impression de sentir mon coeur se déchirer un peu plus.

Pourtant ce ne sont pas de mauvaises nouvelles qu’elle m’annonce. Mais je m’en veux tellement...Est-ce-que je la mérite? Est-ce-que je mérite son amour? Non. Elle devrait me haïr, me frapper, ne plus vouloir me revoir. Et pourtant, j’ai une chance incroyable, de l’avoir dans ma vie. Et je dois lui faire comprendre. Alors je prends doucement ses mains dans les miennes, inspire doucement pour retenir mes larmes, avant d’embrasser ses mains tendrement. Je les garde dans les miennes tandis que je prends la parole, mes yeux toujours ancrés dans les siens.

“Je m’en veux tellement Yura. Jamais je ne pourrais me pardonner de t’avoir mise dans cet état à cause de mon absence. Je suis tellement, tellement désolé...Je ne te mérite pas. Je mérite pas tout cet amour que tu me portes et pourtant, je sais que je ne pourrais pas vivre sans toi. Si j’étais moins égoïste, je te dirais de trouver quelqu’un qui mérite tout cet amour...parce que tu mérites d’être la plus heureuse des femmes...mais je t’aime tellement, je ne peux pas m’imaginer une semaine de plus sans toi.”

Je sers ses mains dans les miennes, mon coeur battant la chamade, alors que je me rapproche un peu d’elle. Je ne supporte plus cette distance entre nous.

“Je te promet de ne plus jamais partir. Il n’y a pas d’histoire de te prévenir ou quoi que ce soit, parce que je suis là pour rester maintenant...Je t’aime Yura et je compte te le prouver chaque jour qui vient, si tu m’y autorise…”

Je parle comme si elle s’était déjà remise avec moi et je me rend compte maintenant qu’elle n’a jamais dit ça. Seulement qu’elle ne m’en voulait plus. Qu’elle ne voulait plus de mensonges. Encore une fois, je me suis emballé et j’ai parlé sans réfléchir. Lâchant ses mains, je n’en garde qu’une dans la mienne puis déglutit difficilement, avant de tenter un léger sourire en sa direction.

“Je me suis un peu emporté...Pour moi c’est comme si tu venais de me dire qu’on était de nouveau ensemble, mais ce n’est absolument pas le cas…” un petit rire nerveux m’échappe. “Est-ce-que tu aurais envie de ça…? Être de nouveau avec moi? Je comprendrais s’il te faut encore du temps…”

Vraiment, j’ai été ridicule. Comme un gamin à Noël, j’ai cru que j’avais le plus beau cadeau du monde devant moi et je me suis emballé. Si je n’étais pas aussi nerveux, peut-être que j’aurais pris le temps de réfléchir. Mais cette femme me fait ressentir tellement de choses, je n’arrive pas à les retenir.