Young folks

Les pyjamas en dentelle ne manquaient pas dans sa penderie, mais elle n’avait pas envie de se sentir belle ni désirable ce soir. Elle était fatiguée, elle voulait juste se sentir confortable, normale, sans vouloir avoir le luxe de porter des pyjamas en soie. Elle avait opté pour son survêtement de sport et un t-shirt ample qu’une de ses conquêtes avait oublié chez elle mais dont elle ne se souvenait plus du nom. Il n’avait jamais réclamé son haut de toute façon.

Ce soir, elle avait envie de se réfugier dans son plaid devant des téléfilm à l’eau de rose en mangeant des chips et de la glace et en buvant du vin. Ce soir, elle n’avait pas la tête à sortir chercher quelqu'un qui voudrait bien partager sa nuit, lui offrir ses bras. Alors elle était là, enroulée dans son grand plaid et habillée comme un sac, sur son canapé en cuir très coûteux posé en plein milieu de la pièce, devant son énorme écran plat qui projetait un film bien cul-cul-la-praline. Elle échangea les chips qu’elle tenait en main pour le pot de glace posé sur la table, et vit son téléphone s’allumer. C’était Eun Jung qui lui demandait si elle pouvait passer la voir ce soir, en lui promettant de ramener une bouteille de vin. Ah Ra soupira, posa finalement le pot de glace et empoigna la bouteille pour se resservir. Elle dût la retourner complètement, suivi d’un secouage intense pour que trois malheureuses gouttes ne coulent dans son verre. C’est un signe, t’as de la chance que j’aie plus de vin Enana. Elle répondit positivement au message de son amie « Ok pour ce soir. Prend ton pyjama aussi, ce soir c’est soirée téléfilm avec chips et glace, comme au bon vieux temps. » Ah Ra ne prit pas la peine de se changer ni de ranger son appartement, Eun Jung avait l’habitude de squatter chez elle, et elle l’avait déjà vue dans tous ses états. C’était d’ailleurs la seule personne qui la connaissait aussi entièrement, telle qu’elle était vraiment et non pas comme elle essayait de se montrer.

Eun Jung arriva chez elle plus vite que ce qu’elle ne pensait. La blonde n’avait pas fini son film que la sonnette retentissait déjà. Elle s’essuya les mains trop grasses pour toucher quoi que ce soit d’autre qu’une serviette, et se leva de son canapé pour aller ouvrir à son amie. « Eh ben, ça donne pas de nouvelles pendant 1 mois et ça débarque comme ça à l’improviste chez moi. » Cette dernière lui tendit la bouteille promise, accompagnée d’un autre pot de glace, et l’enlaça rapidement avant de rentrer dans l’appartement. Ah Ra regarda la bouteille : un rouge basique. Le pot de glace lui était exactement le même que ce qu’elles avaient l’habitude de prendre pour ce genre de soirée : Vanille-cookie. Ca ferait bien l’affaire pour ce soir. Eun Jung enleva ses chaussures, balança sa veste sur le canapé avant de s’étaler dessus à son tour. Ah Ra alla chercher un autre verre dans la cuisine ainsi que l’ouvre-bouteille, et vint s’asseoir à côté de la brune pour ouvrir la bouteille. « T’aurais pu faire un effort quand même, le vin est du bas de gamme. Je mérite que ça pour toi ? Super merci hein. Heureusement que t’as pris la bonne glace sinon je t’en aurais voulu ».

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@Shim Eun Jung

Young folks

Elle n’arrive pas à éteindre la lumière. Ses yeux ne se décident pas à se fermer. Au lieu de quoi, la boule dans sa gorge prend de plus en plus de place et les cheveux sur sa nuque la piquent à force de se hisser. Face à elle, la série Scandal est en mute sur le petit écran retapé et ses yeux s’accrochent désespérément aux lèvres d’Olivia Pope pour se concentrer sur autre chose que les bruits dans son dos. Les sueurs froides coulent et trempent l’arrière de son pyjama, ses joues saignent à force d’être mordues. Mais Eunjung ne lâche pas. Focaliser tout son esprit sur Olivia Pope. Sur sa respiration. Sur tout, sauf sur les geignements derrière elle. Dans sa salle de bains. Près de sa fenêtre. Vers son lit. Contre son oreille. Maintenant, elle le sait : rien ne sert de résister. La musique à fond ne sert à rien, pas plus que les boules quies. Le seul endroit où elle lui échappe, c’est à l’extérieur. Et, dans son état, elle sera plus en sécurité à l’intérieur que dehors.

Alors elle attend. Essuie ses larmes d’un revers de main, faisant le moins de bruit possible en respirant. C’est futile, se dit-elle, parce qu’il la sent. Il la devine, en tout cas. Elle l’entend, parfois, frotter ses mains contre le plan de travail de la cuisine, exhaler de sa voix gutturale, presque inhumaine, dans sa direction. Alors Eunjung ne fuit plus. Elle se résigne, attend qu’il parte, que le sommeil vienne ou que l’aube le remplace. Le matin, comme à chaque fois, il est toujours là. Mais il se fait moins inquiétant, dans l’appartement baigné de lumière. Comme s’il rétrécissait au soleil. Ça la rassure, l’idée qu’il se planque le jour. Elle redevient maîtresse de ses lieux.
Pour l’heure, des couinements plaintifs font vivre l’appartement, sous lesquels le statique discret de la télévision et ses respirations voulues calmes se partagent les décibels restants. La jeune femme serre son portable entre ses mains, se force à réactiver l’écran toutes les dix secondes plutôt que toutes les deux. Elle compte – ça l’aide. Ça l’aide à attendre la réponse d’Ahra. Elle se demande si celle-ci va venir un jour.

« Ok pour ce soir. Prend ton pyjama aussi, ce soir c’est soirée téléfilm avec chips et glace, comme au bon vieux temps. »

Eunjung retient un sifflement de soulagement. Enfin une réponse. Elle se lève promptement du canapé – tant pis pour la discrétion. La douche de mise ne prend que deux minutes, et elle finit de s’habiller tout en sortant de ses placards une bouteille de vin. Derrière elle, le monstre se fige, guette ses mouvements. Elle s’en étonne. Il reste en retrait. L’idée folle lui passe par l’esprit que peut-être que lui aussi a peur.
Elle ferme à clé derrière elle, toutes lumières allumées et télé toujours en silencieux – tant pis pour la facture. Le noir l’aurait trop angoissée. Qui sait ce qu’elle y aurait trouvé à son retour ? La jeune femme descend les marches des escaliers trois à trois, sac sur le dos, presse le pas pour traverser les rues envahies de touristes au plus vite. Le trajet en bus lui semble s’éterniser – Seogwipo n’a jamais été si loin. Sa jambe s’agite sous la pression, la peur, et ce mélange bien connu de dégoût et d’inquiétude vis-à-vis d’elle-même. Il faut qu’elle consulte. Il faut qu’elle en vienne à bout, d’une façon ou d’une autre. Qu’elle sache d’où il vient, pourquoi il est là. S’assurer qu’il n’est pas que le pur produit de son imagination.

Même loin de lui, son cœur est enserré dans sa poitrine par son corps transi de froid – la météo chaude et humide lui roule dessus par vagues imperceptibles et laissent son épiderme frissonnante et en proie à chaque goulée d’air. La seule épicerie ouverte de Seogwipo lui fait reprendre contact social pour la première fois depuis ce qui lui semble une éternité – bonsoir, tenez, merci, bonne soirée. Eunjung renaît parmi les hommes. Elle se sent presque rassurée, normale, lorsqu’elle frappe à la porte de son amie. « Eh ben, ça donne pas de nouvelles pendant 1 mois et ça débarque comme ça à l’improviste chez moi. » Elle a presque envie de pleurer de soulagement quand le visage de Ahra apparaît dans l’encadrement de la porte, souriant, détendu. Elle a envie de se noyer dans cette vague de reconnaissance, de se laisser aller aux larmes qui guettent – au lieu de quoi, elle hausse les épaules, tente un sourire et l’étreint avec ses forces restantes. Elle veut se perdre dans son odeur, dans ses bras et y rester. Fuir le reste.

Un geste machinal propulse ses affaires sur le canapé et à côté de celui-ci, puis elle s’y échoue sans ménagement, vite rejointe par Ahra qui lui tend son verre de vin. A nouveau, une suite de mots qui l’arrache à ses pensées, à sa lassitude. Elle réalise qu’elle n’a encore rien dit. « Quoi, t’as cru que j’avais les moyens pour du Merlot ? J’écris du porno, pas des Harry Potter. » Un sourire tente de redresser ses commissures. C’est difficile, mais elle y parvient. Sa mâchoire engourdie reprend de ses forces et elle trempe ses lèvres dans son verre. « Désolée, j’ai eu pas mal d’occupations. Comme quoi, ça m’arrive, des fois. » Peu à peu, elle sort de sa mue de loque pour reprendre sa forme d’humaine. L’exercice est devenu pénible et exigent :

« Et toi ? Comment tu vas, depuis ? » Son regard ausculte rapidement la pièce, experte qu’elle l’est déjà dans l’aménagement du lieu : à la télévision, un film s’achève sur un générique. Le reste – les meubles de la cuisine, entre autres – ont disparu sous des vêtements balancés en vrac. Ahra, elle, a sorti ses classiques : le vieux survêt avec un trou au genou et un t-shirt pris au hasard. « Pas brillant, on dirait », provoque-t-elle touchant de l’index le trou du survêtement. La jeune femme s’étire – elle ne s’était pas rendue compte qu’elle était si recroquevillée, fermée, crispée – et reprend une gorgée de son vin. Le liquide, bas de gamme mais chaud, agréable, glisse facilement dans sa bouche. « Je veux regarder Phénomènes, comme avant », déclare-t-elle, et cette fois, elle a complètement recouvré le contrôle de sa voix. Se reglisser dans la normalité est plus aisé qu’elle ne l’aurait cru.

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@Yeom Ah Ra

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« Quoi, t’as cru que j’avais les moyens pour du Merlot ? J’écris du porno, pas des Harry Potter. » La voix de son amie rassure la blonde, elle n’était pas devenue muette en un mois, c’était déjà ça. Son ton se voulait détendu, mais Ah Ra savait que quelque chose clochait. Son sourire tentait de masquer sa mâchoire contractée, cachant un certain malaise et l’envie de faire comme si tout allait bien. Comme à ses habitudes, la cadette se cacha derrière son verre pour ne pas avoir à parler plus. Cherchant à la détendre, Ah Ra opta pour la taquinerie – ça leur ressemblait et c’était facile. « Arrête c’est pas une excuse. La prochaine fois au lieu d’écrire du porno, participe à l’action ça rapporte plus. Non mais en vrai c’est bon j’ai compris, je suis plus aussi importante qu’avant, t’as dû te trouver d’autres cibles à racketter. »


A son tour, Ah Ra porta son verre à ses lèvres pendant que son amie lui présentait un semblant d’excuses. Sa langue entra en contact avec la liqueur bas de gamme. La texture chaude ajoutée à l’odeur de vinaigre la répugnaient et elle ne put s’empêcher l’expression de dégoût qui crispait son visage. Elle garda le liquide en bouche plusieurs secondes avant de réussir à l’avaler, et dû serrer sa mâchoire et déglutir à plusieurs reprises pour éviter que le tout ressorte. « Il est quand même sacrément dégueulasse ton vin. Je sais que j’ai des goûts de luxe, mais si tu voulais me faire gerber je pense que t’as tout gagné Enana. » La blonde empoigna vivement le pot de glace pour se fourrer une grosse cuillère dans la bouche afin de faire disparaître le goût âcre de la boisson alcoolisée. La douceur du sucré vint apaiser ses papilles gustatives, décrispant instantanément les muscles de sa mâchoire.


« Et toi ? Comment tu vas, depuis ? » La question de la cadette la prit de court. Ne sachant pas quoi répondre, la blonde s'enfonça une nouvelle cuillerée. Elle savait que son amie observait la pièce dans laquelle elles se trouvaient. Elle savait que son amie l’avait démasquée. Mais elle n’avait pas envie de parler, pas ce soir. Ce soir, elle voulait simplement regarder un film avec sa meilleure amie, se bourrer la gueule et ne pas se morfondre. Pas de cette manière en tous cas. Alors elle focalisa son regard sur le pot de glace, elle ne le quitta pas des yeux, attendant qu’Eun Jung passe à autre chose. Mais au lieu de ça, la brune renchérit, titillant sa peau découverte par le trou dans son survet. « Oh ça va je crois que t’es pas la mieux placée pour juger. J’ai vu ta bouille quand t’es rentrée j’ai direct su. T’as envie d’en parler toi ? » Ah Ra attendit la réponse de son amie, la défiant presque du regard, mais l’autre tête de mule ne semblait pas plus disposée à parler qu’elle. C’est bien ce qu’elle pensait. En guise de réponse, elle n’obtient rien d’autre qu’un « Je veux regarder Phénomènes, comme avant », qui annonçait leur soirée.


« Allez, je suis partante. Prépare le DVD, il est dans l’armoire normalement. Je vais aller me chercher autre chose à boire que ton vin, c’est vraiment pas possible pour moi ça. » Ah Ra se leva, laissant Eun Jung assise au milieu du bordel dans son canapé, et se dirigea vers son bar. Elle hésita entre son whisky japonais, et son rhum ambré, et opta pour la bouteille de whisky, déjà entamée. Se rendant dans la cuisine pour prendre les glaçons et les verres, elle en profita pour jeter un coup d’œil dans le salon. Son amie avait formé une pile de vêtements sur le côté, cherchant sans doute à accéder à l’armoire sans avoir à soulever les habits un à un pour trouver le bon tiroir, puis le bon DVD. Lorsqu’elle revint dans le salon, la brune n’avait toujours rien trouvé. Ah Ra regarda la pile de fringues et rétorqua au regard qu’Enana lui lançait. « Quoi, c’était un bordel organisé et maintenant c’est juste le bordel. T’as intérêt de me plier tout ça avant de repartir. Bon je te sers un verre ou tu restes avec ton vinaigre ? »

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@Shim Eun Jung

Young folks

Ces derniers temps le monde extérieur lui semble être une réalité lointaine, imperceptible, presque illusoire. Eunjung crèche avec ses démons, s’enferme dans cette angoisse irréelle qui lui fait perdre pied, et s’hermétise à l’extérieur. Ses seuls contacts humains des derniers jours, c’était un SMS à sa boss pour prétendre une maladie contagieuse et la télévision allumée en permanence au volume maximal pour faire taire les grincements et les gémissements. Des séries stupides, des talk shows à la cadence laborieuse et des télé-réalités bulgares pornographiques rediffusées tard sur les chaînes les moins regardées du bouquet basique ; tout un monde technologique pour se distraire de l’enfer à l’extérieur, et de celui niché en elle-même. Elle a reculé au maximum l’inévitable, jusqu’à ce que le besoin de sortir, de s’enfuir se fasse trop pressant pour être contourné. Elle a finalement capitulé, tête baissée devant la porte d’Ahra. Son amie est la seule personne vers laquelle elle peut encore se tourner - elle en est péniblement consciente, honteuse de son silence prolongé et d’abuser de son hospitalité.

Les retrouvailles se veulent fluides, aussi naturelles que possible, chaque moitié du duo jouant le jeu et esquivant toute question fâcheuse. Graduellement, la cadette prend ses aises, retrouve sa langue, s’autorise à détendre son corps trop crispé. Le vin bas de gamme glisse sur sa langue comme une délivrance trop retardée et, face à la sensation, le goût l’atteint à peine. « Il est quand même sacrément dégueulasse ton vin. Je sais que j’ai des goûts de luxe, mais si tu voulais me faire gerber je pense que t’as tout gagné Enana. » La jeune femme glisse un regard malicieux à son aînée, haussant les épaules comme pour se dédouaner.

« Coupable. Mais au moins, si tu vomis sur tes affaires, ça te motivera peut-être à les ranger. Sans déconner, c’est limite insultant pour Bagdad de comparer ta chambre avec. »

La photographe retrouve de sa verve et de son pinçant, laisse son fantôme loin derrière elle pour l’espace de quelques heures. Elle enchaîne en écartant la proposition de son amie de parler d’un revers de la main - elle n’a pas envie d’en parler ce soir. Que dirait-elle, surtout ? Que son appartement était hanté par le fantôme de sa lâcheté, revenu depuis le Yemen pour bannir tout espoir de reprendre une vie normale, trois ans après sa dépression nerveuse ? Elle opte pour un changement de sujet, demande à regarder ce qu’elles ont baptisé “le Top 1 de Mark Wahlberg” pour au moins la cinquantième fois depuis sa sortie. Leur film habituel lors de journées un peu fatiguées, de lendemains de cuites ou de soirée déprime. Ahra l’envoie en quête du DVD pendant qu’elle part préparer des verres, rejetant enfin complètement la piquette amenée par la plus jeune. L’entreprise de chercher le DVD s’avère plus complexe qu’envisagée : pendant un long moment, Eunjeong hésite entre enjamber soigneusement (mais difficilement) les fringues et tailler dedans sans différencier les propres et les sales. Elle opte finalement pour la troisième option : ramasser le désordre pour tenter de lui redonner un semblant de sens. Les vêtements, hauts comme jeans s’empilent rapidement sur la table basse, formant une montagne à allure presque humaine. Comme elle se doutait, quand Ahra revient dans le salon, c’est pour la fustiger.

« Question : les pulls qui puent au niveau des aisselles, je les plie ou tu comptes les laver un jour ? » questionne-t-elle en ignorant la réprimande.
Son regard pétillant se veut sérieux, et elle ne tourne le dos à Ahra que lorsqu’elle est sûre que celle-ci a bien profité de ses jubilations. Elle accélère la cadence jusqu’à parvenir au fameux tiroir contenant les DVDs, en vrac avec les CDs, et plusieurs autres élements de vie qui se battent avec les résidents titulaires de l’espace clos. « Je garde mon vinaigre, merci beaucoup. » Ses mains farfouillent avec impatience dans le tiroir, entrent en collision avec plusieurs étuis, sans jamais trouver le bon. « Autre question : tu m’expliques pourquoi t’as un sachet pocket de Doritos, des piles et des collants dans ton tiroir à DVDs ? » lance-t-elle cette fois par-dessus son épaule. Ses mouvements se font frénétiques jusqu’à trouver enfin l’objet tant désiré. « A-ha ! » Dans son triomphe, elle ne cache pas la part de soulagement de constater que le chef d’oeuvre n’est pas perdu à jamais. La jeune Coréenne refait le chemin en sens inverse en sautillant par-dessus la garde-robe répandue par terre, Kim Possible en devenir, et s’échoue sans ménagement sur le canapé, à sa place initiale, pour y vider son verre de vin.

« Je vais pas mentir, j'ai eu très peur que tu aies jeté le DVD parce que t'en avais marre que je te le fasse regarder. On a du le regarder...combien, 300 fois en 10 ans ? »

Un sourire étire la commissure fatiguée de ses lèvres. Eunjung ado avait eu un amour immense, déraisonné, presque obsessionnel pour Mark Wahlberg, à tel point que son amie d'enfance avait eu droit non seulement au pire film de sa carrière en boucle tous les weekends, mais surtout à toutes les scènes bonus du DVD, avec et sans sous-titres, “pour apprendre l'anglais”. Après trois ans à l'étranger, et trop de temps passé à stresser à Jeju, ça lui avait manqué, ces rituels futiles. « Tu sais, j'ai essayé de le montrer à mon copain à Loja. Il s’est foutu de ma gueule jusqu'à ce que je parte après. » Elle mentionne Victor et elle réalise qu'elle n’a pas pris de ses nouvelles depuis des semaines. Elle n'a même pas mentionné son existence à Ahra, par ailleurs. Jamais elle n’a laissé les deux univers se rencontrer. Comme si elle gardait la Eunjung de Loja dans une boîte à l'abri des regards, précieux souvenirs qui se briserait au simple regard. Elle se sent sur le point d'ouvrir la boîte de Pandore quand elle ponctue ses mots d'un soupir : « Tu l’aurais bien aimé, je pense. » Et ça, elle n'en doute pas une seconde.

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@Yeom Ah Ra

Young folks

La blonde ne manquait pourtant pas d’alcool dans son placard ce soir, mais elle avait besoin envie de revoir son amie qui n’avait pas donné de signe de vie pendant toutes ces semaines. L’absence de messages, la gamine qui faisait la morte, Ah Ra était familière à tout ça. Cependant, le silence radio habituel ne dépassait jamais les deux semaines. Le fait que son amie ne lui avait pas écrit, ni même répondu, l’avait inquiétée. Elle avait fini par lâcher l’affaire face au silence de la cadette, sachant pertinemment que la forcer à faire quoi que ce soit n’aiderait pas. L’aînée savait que de toute façon si quelque chose de grave lui était arrivé, elle aurait été la première prévenue, son numéro ayant été donné en tant que première personne à contacter. Lorsqu’elle reçut le message, Ah Ra fut tout d’abord soulagée, avant d’être prise par l’inquiétude : pourquoi la brune la contactait-elle seulement maintenant ? Eun Jung avait-elle besoin d’elle ? Qu’avait-elle fait cette fois-ci ?


Leur ping-pong habituel et ritualisé de taquineries ne laissait pas de place à la gêne, ni aux discussions sérieuses sur les raisons qui avaient poussées les jeunes femmes à se retrouver ce soir-là. Les moindres tentatives pour trouver les causes de ce silence tomberaient à l’eau à l’heure actuelle, il faudrait attendre quelques verres de vin avant que les langues ne se délient. « Change de disquette, arrête de toujours comparer mon appart à Bagdad. Tu foutais encore plus le bordel quand tu venais squatter chez moi pendant trois mois. » L’ainée avait dépannée plus d’une fois la brune. A chaque fois, un simple coup de fil suffisait : Ah Ra comprenait que tout ce dont avait besoin Eunjung était un toit et pas de jugement. Elles cohabitaient alors, l’ainée heureuse d’avoir de la compagnie dans son grand appartement, tandis que la cadette avait cette sécurité de dormir au chaud le ventre plein.


Revenant finalement dans le séjour les verres à la main, elle se heurta aux piques de sa cadette. « T’es sérieuse ils puent vraiment ?? » La blonde était parano sur son odeur, et EunJung le savait. La garce, elle le savait et s’en servait pour la rendre mal à l’aise, et ça marchait. L’aînée répondit avec tout autant de ferveur « Non mais ceux qui puent garde les au pire, je vois que t’aimes bien snifer mes affaires. Fouille dans le panier de linge sale tu y trouveras mes chaussettes aussi si tu veux. » Ah Ra posa les verres et le précieux breuvage sur la table basse et s’assit dans son canapé. Son amie voulait rester au vin, mais la blonde était persuadée qu’après deux ou trois verres, sa cadette voudrait goûter de son whisky pour faire passer le goût de vinaigre. En attente de la trouvaille du fameux DVD, l’aînée se servit généreusement et porta le verre à ses lèvres. La teneur en alcool du whisky lui assécha les yeux, mais le liquide déposé sur sa langue vint soulager ses papilles gustatives, et glissa chaudement dans sa gorge. Elle ferma les yeux, serra la mâchoire de plaisir, et savoura la chaleur provoquée dans son estomac.


Son plaisir fût coupé par l’agressivité d’Eunjung. « Les piles sont à leur place parce qu’elles se sont perdues en chemin. Et les collants… Aaaah mais c’est les collants que j’avais achetés et que j’ai jamais retrouvés ! Laisse-les sur l’étagère je les rangerais plus tard, merci. » Portant à nouveau son verre à ses lèvres, elle observait sa cadette se débattre la tête enfoncée dans le tiroir des DVDs, avant de voir un bras tendu en l’air tenant THE DVD en ressortir. Elle fût presque émue de voir que sa meilleure amie avait eu peur de ne plus le retrouver. « Ben franchement j’ai hésité à le jeter, tu m’as tellement gonflée avec. Mais j’allais quand même pas jeter NOTRE film, celui qui te rend hyper niaise face à Markou chéri. » Ah Ra se souvint de toutes ces soirées passées devant Phénomènes. C’était leur refuge, leur truc à elles. Elle savait pas si ça lui avait fait mal, ou si elle avait été contente de savoir qu’Eun Jung veuille partager ce film avec quelqu’un d’autre qui semblait avoir été important pour elle. « Ton copain ? Parce que t’avais un mec ? » La blonde refoula le pincement que cela lui avait donné à la poitrine, pour laisser sa cadette s’exprimer. Pourquoi ne l’avait-elle jamais mentionné ? Combien de temps étaient-ils restés ensemble ? Sont-ils encore ensemble ? Sait-il au moins qu’elle est ici ? « Pourquoi tu penses que je l’aurais bien aimé ? » Ah Ra essayait de rester ouverte, de laisser Eun Jung s’exprimer, mais elle lui en voulait.


Ah Ra mit le film en route pendant que sa cadette lui expliquait brièvement (trop brièvement d’ailleurs) la situation. Le générique débuta, et la blonde pria pour que sa voisine mette le film sur pause pour continuer ses explications. Au lieu de cela, la brune s’installa confortablement sur son épaule, et s’arma du coussin qui traînait par terre pour le serrer contre elle. L’aînée en conclut que la discussion viendrait plus tard, certainement après avoir bu suffisamment. Elle retira son épaule délicatement pour se resservir un verre, et en profita pour remplir également le verre de la Shim. Ah Ra prit le plaid qui gisait au bout du canapé et se réinstalla confortablement en s’enroulant dedans. Elle laissa un morceau du tissu pour l’autre gamine si jamais elle en voulait un bout, et comme par réflexe, porta le verre à ses lèvres pour en boire le contenu, un peu trop rapidement.

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@Shim Eun Jung