Les lignes se suivaient et se ressemblaient, et j’avais beau y prêter une attention toute particulière, rien n’y faisait. Je ne parvenais pas à me concentrer, du moins pas suffisamment pour en extraire les quelques émotions listées en italique dans la marge. La page s’était noircie de mes notes, cornée de trop nombreuses fois pour une scène que je me voyais de plus en plus confier. Le romantisme était devenu une valeur sûre pour laquelle j’étais régulièrement convié à des essais. Et je ne comprenais toujours pas, pourquoi et comment étais-je devenu un nom à retenir en la matière. D’exaspération, je me laissais tomber sur la première chaise à proximité, regardant d’un œil distrait les équipes ranger leur matériel pour quitter le studio dans lequel ils avaient passé une longue journée.

« Tu ne rentres pas Dong Soo ? »
« Non… je voudrais juste mémoriser ça pour demain. Partez devant ! »

Je saluais les retardataires avant de me retrouver seul avec moi-même. Ils avaient tous déserté et j’espérais ainsi pouvoir venir à bout de ces quelques phrases qui semblaient avoir tant de mal à faire le chemin jusqu’à mon intellect. Je forçais, en dépit de la fatigue que je sentais poindre dans mes muscles, pinçant l’arrête de mon nez, je cherchais une solution, un autre moyen pour remplir ma part du contrat, mais rien ne me venait… rien si ce n’était un peu d’aide. Puis ce fut un message, comme une bouteille jetée à la mer, je sollicitais la première personne qui me vint à l’esprit. En quelques mots je lui délivrais le nom du studio et l’adresse avec pour seule explication : Help.

Je tournais en rond comme un lion dans sa cage avant qu’enfin je n’entende la porte claquer. Et en remarquant son air inquiet, je ne pus m’empêcher de penser que j’aurais sans doute dû lui fournir une autre raison qu’un simple mot derrière lequel pouvait se cacher un millier de significations.

« Tu peux chasser cette mine angoissée, je vais bien et… j’ai besoin de ton aide… S’il te plait ? »

Cela faisait deux heures que j'étais sortie du travail, endroit où je ne voyais pas le temps passer. L'un des rares d'ailleurs. Alors que je m'étais déjà douchée et mise en tenue confortable, je pense soudainement à Dongsoo... depuis qu'il était parti comme... une furie on va dire, je ne l'avais pas revu. Je ne savais pas s'il était fâché mais en tout cas silence radio de son côté. J'y étais habituée...avec ma bouteille d'eau je parcours les chaînes de la télé sans grande conviction. Je priais pour que quelque chose me sorte de mon ennui interminable. Vivre seule était souvent un calvaire quand on avait pas d’amis vers qui se tourner, du moins quand ceux ci étaient occupés…Et être amie avec une célébrité laissait encore moins de temps. J’étais donc convaincue de me morfondre dans mon ennui profond.

Miraculeusement, comme si ma prière avait été entendue, je reçois un message de Dongsoo avec comme seule indication une adresse et un mot inquiétant "help". Mon sang ne fait qu’un tour. Que voulait-il dire par « help » ? S’était-il passé quelque chose de grave ? Je l’ignorais mais je ne réfléchis même pas et me levai directement.

Je commençais déjà à imaginer tous les scénarios possibles et imaginables où le pire se produisait. Ni une ni deux je me levais pour m'habiller en vitesse. Jean teah shirt, veste et téléphone. Je sors en appelant un taxi pour foncer à l'adresse.
Seulement arrivée devant l'édifice qui était un lieu tout à fait banal, je cours jusqu'à ouvrir la porte, essoufflée.

Je m'attendais à une scène d'horreur mais finalement il était là, et il avait l'air de bien se porter ! Je comprends que mes angoisses etaient veines et qu'il m'avait alertée pour rien. Enfin presque rien.

Je sens mes jambes fléchir sous le soulagement. Je tombe par terre doucement en poussant un cri de soulagement.

" Bon sang...! Mais tu aurais pu mettre autre chose que help non ?!"

Je me redresse et regarde autour de nous. Pourquoi m'avait il fait venir ici ?

" Qu'est ce qu'il y a ?"

J’aurais sans doute dû m’en vouloir, de l’avoir appelé ainsi à une heure tardive, de lui avoir fait traverser la ville pour finalement me rejoindre dans un studio qui semblait désormais abandonné… presque hanté. Mais je ne pus m’empêcher de sourire en la voyant souffler, je ne pus retenir ce petit pincement au cœur de voir qu’elle avait pu s’inquiéter pour moi. C’était une sensation étrange que d’avoir quelqu’un prêt à veiller sur moi… Jamais encore je n’avais été la cible d’une telle réaction, et mon esprit fit automatiquement la comparaison entre cet instant et ceux dont les souvenirs d’enfance ne me faisaient revivre les cris de mécontentement d’une famille plus inquiets pour l’image que pour le bien être de leur bambin.

« Excuses moi… »

Ses jambes ployèrent sous son poids et elle se laissa tomber au sol. Fatiguée et à bout de souffle, je détaillais malgré moi les traits plissés de son visage, les marques d’une angoisse que j’aurais pourtant pu lui éviter, et je vins la rejoindre en quelques pas pour finalement me mettre à son niveau.

« J’ai besoin de ton aide. »

Sans plus de précisions, je lui tendais le script resté ouvert sur la scène qui semblait tant me poser problème. Si j’avais l’habitude, je ne me rendais pas compte que les quelques lignes exhalant le romantisme et les sentiments pouvaient être une gêne pour Tae Ah. Ses yeux voguèrent sur les pages sans que jamais je ne remarque le trouble qui s’insinuait dans ses veines. Trop concentré à vouloir réussir ce qui me faisait obstacle, je me contentais de lui demander de jouer ma partenaire, le temps d’une scène, le temps d’une répétition.

« Alors ? Tu veux bien me donner la réplique ? Seul face au miroir… je dois avouer que je ne suis pas très enthousiaste à l’idée de me balancer quelques fleurs. »

Je le regarde quelque secondes avant de poser mes prunelles sur le script qu’il me tend. Il m’a fait courir toute la ville pour…ÇA ? L’envie soudaine de le frapper avec son maudit script me vint à l’esprit, mais sur le coup, je ne le fais pas.

« Tu sais que je suis mauvaise comédienne… » marmonnai-je en me relevant pour regarder néanmoins ce que disait ce script.

Plus je lisais, plus mon coeur s’emballait, mais comment voulait-il que je joue une scène de romantisme…Avec lui ? J’avais soudainement envie de lui dire « non désolée » mais je ne peux pas lui refuser. Je n’ai jamais pu refuser quoi que ce soit pour lui, par attachement ou par dévouement ? Les deux sûrement.

« Ok…je vais…essayer, mais je ne te garantis rien ! »

J’enlève ma veste pour la poser sur une caisse pas loin, répétant plusieurs fois la ligne de sa partenaire. J’étais jalouse et admirative. Cette fille qui jouait sa partenaire était tellement chanceuse, et elle devait être très belle aussi. Un noeud se forme dans ma gorge, mais j’essaye de passer outre mes propres sentiments. Après tout, c’est comme cela que les acteurs font.

J’inspire profondément et m’avance vers Dongsoo -comme le script le disait- avant de dire la phrase sur le ton que j’espérais le bon:

« Oppa, pourquoi n’acceptes-tu pas mes sentiments ? Rien ne nous en empêche et pourtant…j’ai l’impression que tu fais tout pour me repousser. »

Je ne sais pas pourquoi, mais cette réplique semblait me correspondre parfaitement. Oui, même trop bien. Mon coeur semble s’être arrêté, dans l’attente de la ligne de Dongsoo qui allait arriver sous peu, et la réponse était déchirante. Je l’avais lue, et relue, et je savais que je n’allais pouvoir faire abstraction de mes propres sentiments. C’était impossible.

Mes yeux se baissent lentement sur le script où la réponse est là, noire sur blanc, et déjà je ferme les yeux, redoutant de l’entendre.

J’avais sans doute l’air ridicule, lui réclamer de l’aider alors que j’aurais pu attendre ma partenaire de scène… et j’ignorais, d’où m’était venue cette idée de l’appeler. Une intuition, un instinct auquel je ne comprenais rien, une  habitude que je tendais à perdre au fur et à mesure. Son numéro avait été si simple à composer, et je me fustigeai intérieurement de ne pas savoir le pianoter sur l’écran de mon téléphone pour autre chose qu’un service. Jouer un rôle… je ne pus réprimer le rictus qui vint étirer mes lèvres, et même si je ne parvenais pas à l’imaginer jouer la comédie, j’étais persuadé qu’elle saurait m’aider. Puis le soulagement. Si un instant j’avais douté qu’elle n’accepte, elle me faisait grâce de son temps que je prenais égoïstement. Sans un mot, je la regardais se placer pour me faire face, inspirer longuement avant d’enfin me délivrer son texte. Les yeux rivés sur elle, je n’avais nulle besoin de relire les quelques phrases qui tournaient en boucle dans ma tête, mais une fraction de seconde, j’eus un mal fou à leur donner vie. Son ton résonnait étrangement et j’ignorais si les mots n’avaient pas de sens, ou au contraire bien trop. Mais l’acteur s’éveilla, il poussa l’homme et l’ami dans un coin pour reprendre les commandes d’un univers qu’il ne connaissait que trop bien, et je me laissais aller à cet exercice dans lequel j’étais passé maître.

« On ne peut pas… c’est tout. »

J’avançais d’un pas, d’un regard que je voulais dur et d’un ton que je devais faire paraître froid et tranchant.

« Parce qu’on n’est pas du même monde, parce que les sentiments sont fugaces, parce que les relations sont éphémères et que jamais elles ne dureront. Parce que je pourrais te donner toutes les raisons du monde, mais qu’aucune ne serait plus vraie que ces quelques mots... parce que je ne t'aime pas. »

J’interprétais, je rentrais dans la peau de l’homme qui rejetait l’élue de son cœur pour une histoire qui me semblait bien trop ridicule. Mes yeux chutèrent, et les quelques indications de celui qui avait quitté son monde de cruauté pour en dénoncer les travers, celui qui voulait protéger sa moitié. Mais la réplique ne vint pas.

« Tae Ah ? »

Les mots tombent, comme un bloc de béton armé sur ma tête. Même si ce n’était que de la comédie, même si c’était pour de faux, même si ce n’était pas censé être moi dans l’instant présent, même si ce n’était pas Dongsoo mais son personnage…ça fait mal. Je baisse le script, ces mots aussi tranchants que des lames me transperçant encore.

Sans que je ne m’en rende compte, des larmes coulent sur mes joues. Pourquoi ? Pourquoi je pleure ? Pourquoi alors que…alors que ce n’était pas à moi directement qu’il disait cela, je me reconnaissais dans ce personnage malheureux qui devait insister à ce moment là, mais moi, je n’insiste pas. Je n’en ai plus le courage.

« H..ha, mince…Pourquoi je pleure ? Haha, c’est gênant. »

Je m’empresse d’essuyer d’un revers de manche ces larmes traîtresses qui me rendaient pitoyable. Pleurer n’était pas dans mes habitudes, j’avais appris à être forte par moi-même, mais face à cet homme, je n’arrivais pas à être forte. Et cette réplique m’avait fait comprendre la triste réalité que j’avais fui jusque là.

J’essaye de reprendre composure, mais ma main commence à trembler alors que je me replonge dans la réplique. Ma vision est encore troublée par ces stupides larmes qui ne cessent de couler.

« Pourquoi…tu dis ça ? Tu sais que c’est faux…Tu me dis ça pour que j’y crois et que j’abandonne…Mais…je … »

Je n’abandonnerai pas. C’était ce qui était censé être dit là. Ma voix s’évapore comme neige au soleil et soudainement, je suis vraiment incapable de l’aider, de continuer à tenir ce rôle de circonstance.

Je me retourne de nouveau pour cacher cette crise de larmes incontrôlable qui devait l’inquiéter. C’était bien la dernière chose que je souhaitais lui montrer. Je m’éloigne un peu plus loin, essayant de respirer doucement, de penser à autre chose et de me dire que ce n’était qu’une scène fictive. On dit que la réalité dépassait la fiction, et je crois que ce fut le cas pendant ces cinq dernières minutes.

Sans même m’en rendre compte, je faisais tomber le verdict. J’annonçais une sentence fictive et qui pourtant semblait prendre pied dans la réalité. Les mots étaient durs, mais digne d’un drama, et si je pu les prononcer avec une certaine facilité je ne leur prêtais qu’une vérité au travers de la comédie pour laquelle ils avaient été écrit. J’avais demandé son aide, et en cet instant je regrettais de lui faire endurer la corvée de me faire répéter. Il me fallut un certain temps avant de remarquer les larmes roulaient sur ses joues, des perles de cristal s’échouaient sur l’opaline de son visage, mais j’étais incapable d’en comprendre la raison.

« Tae Ah ? »

Peu importait qu’elle détourne le regard, qu’elle tente de cacher la tristesse qu’elle peinait à retenir, j’avançais d’un pas avant d’être coupé dans mon élan. Se retournant soudainement, ses yeux chutèrent de nouveau sur le papier, poursuivant l’exercice dans lequel je l’avais forcé à participer. La réplique se joua, fuyant ses lèvres dans un souffle douloureux me projetant bien au-delà de cette simple répétition. Je n’eus pas le temps, ni même l’envie de lui céder ces quelques lignes qui devaient achever une relation née pour le petit écran. Elle m’offrait déjà son dos et si elle pensait cacher ses larmes, c’était peine perdue. Je voyais ses épaules se secouer sous l’effort, ses mains trembler sur le script malmené pour finalement s’éloigner de quelques pas. Alors j’abandonnais… je me délestais de l’apparat d’acteur, de ce rôle auquel je n’accordais plus d’intérêt pour m’approcher. La rejoindre et presser une paume sur son épaule pour l’inciter à me faire face.

« Qu’est-ce qu’il y a ? Tu sais que tu peux tout me dire. »

Ô combien j’étais loin de la réalité. Je lui imaginais tout ce qui pouvait me passer par la tête, tout sauf une chose, la seule qui ne pouvait qu’être vraie, et à laquelle j’étais aveugle.

« Dis-moi quoi faire, je peux t’aider tu sais. »

Je restais interdit face à ce qui semblait tant lui déchirer le cœur, sans penser une seule seconde que j’étais l’instigateur de cette tristesse.

Je me retourne lentement, toujours la tête baissée, les larmes coulants toujours sur mes joues alors que j’essaye de dire quelque chose. Tout sauf la vérité, tout sauf ce que je voulais cacher absolument. Lentement, je prends sa main si chaude et rassurante…Mais cette main sur mon épaule me rappelle que je ne devais plus y prêter attention. Je la retire de mon épaule et le regarde avec un semblant de sérieux, les larmes cessant de couler alors que ma voix légèrement enrouée peine à se faire entendre:

« J’étais trop dedans…Désolée, ça m’a surprise haha ! ».

Pauvre excuse bidon qui cachait malheureusement mon état d’esprit concernant sa réplique beaucoup trop réaliste à mes yeux. Séchant le reste de mes yeux, je ramasse le script que j’avais laissé tomber en me disant qu’il fallait maintenant s’y remettre et sérieusement.

« Je peux reprendre si tu veux…Mh, on va bosser les parties que tu as du mal avec ok ? »

Je me rendais compte que j’étais réellement dans l’ombre de sa splendeur, j’étais là sans l’être. L’aider, le soutenir et lui dire des compliments…Venir en urgence parce qu’il me le demande, accepter simplement d’être son amie…Cela faisait mal. Mais son bonheur était quelque chose dont il fallait que je m’assure qu’il devienne réel.

« Tu seras au top pour l’épisode, je te le jure. »

Je me racle la gorge doucement et relis les pages en ignorant mes propres sentiments sanguinolents, comme estropiés par les mots justes. Je devais me faire une raison…Contrairement à cette fille dans ce drama, contrairement à ces paroles, moi, j’abandonnais simplement. Car comme il l’a dit, nos deux mondes sont différents, trop différents pour que les sentiments puissent naître. Et parce qu’il ne m’aimait pas.

Je lui adresse un sourire maladroit et lui montre la ligne. Un sourire qui lui hurlait d’arrêter de me regarder comme ça, d’arrêter de se soucier de moi.

« Je reprends ici ok ? »

Les heures passent, et sans que je me rende compte, nous avions bien avancé sur les parties qui coinçaient. J’étais fatiguée, mais satisfaite de mon oeuvre de cette soirée. Bâillant de plus belle, je m’assois sur la caisse près de ma veste, observant le studio où j’imaginais des gens se démener derrière les caméras, les gens courir d’un plateau à un autre…Mais si ça se trouve j’avais tout faux sur la ligne.

« Je vais rentrer, je suis fatiguée… » déclarais-je en regardant Dongsoo toujours sur sa chaise avec son script encore plus défraîchi que la veille. «…Tu feras un carton, je le sais ! »