Le jour, Jeju paraît une ville calme. Paraît, car nous les policiers, nous n’avons pas trop le temps de nous reposer ne serait-ce qu’une minute. Du moins, ceux qui font les allers et retour quotidien au poste. C’était mon cas aujourd’hui. Une journée comme les autres, où je faisais des patrouilles sans intérêts jusqu’à ce que le poste m’indique une affaire dont je pouvais m’occuper par rapport à ma proximité.
Jae et Soo n’étaient pas là avec moi, alors je faisais mon travail comme un grand, sifflotant en conduisant dans la voiture de service.

Ah, moi qui pensait sauver la veuve et l’orphelin, j’étais plutôt dans l’obligation d’enfermer des sacs à merdes en prison. Vulgairement parlant. Néanmoins, il arrivait que j’ai des affaires de meurtres, mais ces derniers temps, les gens étaient trop droits et honnêtes, pourvu que ça dure.

Le poste de radio grésille et j’attends que quelqu’un parle. « Cas de vol à l’arcade. Agent requis sur place. » L’arcade ? Ce n’était pas loin de ma position, alors autant me dévouer.
Je réponds que je prenais l’affaire et me dirigeais donc vers l’arcade où une foule attendait, comme si il y avait une bête de foire à l’intérieur. Aish…Je n’aimais pas vraiment attirer l’attention, mais on dirait que tout le quartier était au courant.

Le propriétaire n’hésite pas à me raconter tout, à peine descendu de ma voiture alors que je l’écoute à demi-mots, préférant voir le dit voleur qui était une jeune femme. Avant de m’approcher, je regarde autour, percevant de la peur et de l’inquiétude. Pourquoi ces gens avaient-ils si peur ?

« Pardon, excusez-moi s’il vous plaît, laissez-moi passer » marmonnai-je en me faufilant jusqu’à la voleuse.

Mon coeur eut un râté. Plus mon regard remontait sur le visage de la voleuse, plus je sentais mon sang se glacer. Je la reconnaissais entre mille. Linh, comment ne pas l’oublier ? La meilleure amie de Haneul que je n’avais pas vue depuis des années. Dix ans pour être exact. Je lâche un petit soupire avant d’enfoncer ma casquette sur la tête et de me baisser à son niveau, évitant de croiser son regard pour regarder sa main….plutôt tordue.

Puis avant de dire quoi que ce soit, j’essaye d’utiliser mon pouvoir sur elle, mais rien. Je ne ressens rien. Je commence à comprendre, mais eux ne comprennent pas. Ils ne sont pas des élus. Ils ne sont pas des Seonchul.

Je pose ma main sur son épaule et, je ne sais comment, sa main glisse de cet endroit étriqué que même un enfant aurait du mal à passer ses doigts.

« Je vais devoir vous embarquer au poste. » répondis-je en la redressant gentiment.

Evidemment, je n’allais pas lui passer les menottes, ni l’embarquer au poste. Je n’avais qu’une idée en tête, l’éloigner de ces gens qui la dévisageaient comme une étrangeté, un monstre.

« Merci de nous avoir appelé » dis-je au propriétaire avant d’entraîner Linh avec moi jusqu’à la voiture où je la fais entrer, faisant attention à sa tête. Puis je m’engouffre dans le véhicule, démarrant le moteur pour m’engager sur la route. J’hésite longuement avant de dire en regardant dans le rétroviseur.

« Tu me reconnais pas ? »

Je pouvais imaginer sans peine combien il était humiliant et parfois effrayant même de se retrouver au milieu d’une foule qui nous prend pour des cinglés. Bien que mon pouvoir n’était pas physique comme le sien, quand j’étais un enfant, j’exprimais librement ce que je percevais et les regards sur moi changeaient du tout au tout, alors j’ai vite compris qu’il valait mieux ne rien dire et continuer à vivre, bien que ma tête ressemblait à un vrai champ de bataille. Pourquoi ne pas l’avoir menottée ? Parce qu’il s’agissait non seulement d’un petit crime, on allait pas se mentir, mais aussi parce qu’elle ne paraissait pas être une grande criminelle, au contraire, je voyais bien qu’elle était pleine d’humilité et surtout, qu’elle ne voulait pas attirer l’attention.

Si j’avais su que je reverrai Linh, la meilleure amie de Haneul…Je me serais plus préparé mentalement. J’esquisse un petit sourire, bien que soudainement je n’étais pas vraiment enclin à sourire. « Oui on se connaît… » Je la laissais encore songer, voulant voir si tout de même elle se souvenait de moi, mais on dirait que non. Avais-je tant changé que ça ? Après tout, je ne m’étais pas vraiment aperçu de mon changement, beaucoup de choses ayant préoccupé ma vie jusqu’ici. Et le physique avait été le cadet de mes soucis.

 "J'ai du mal à re-situer, on se connaît depuis quand ?" 


 J’hésite avant de répondre. A vrai dire, je ne savais pas comment lui re-situer la situation. Alors je répondis simplement:

« Haneul ».

Son prénom sonne comme un regret, un fantôme qui me hantait encore aujourd’hui, des images nostalgiques, à la fois heureuses et tristes envahissant mon esprit. Avait-elle compris qui j’étais ? Je la regarde de nouveau dans le rétroviseur, regardant son expression pour essayer de déceler quelque chose, une émotion. Car je ne sentais rien, absolument rien qui puisse me mettre la puce à l’oreille. Mon pouvoir était bel et bien neutre face à elle.

« Je suis Woo Sik »

A l’époque, on était une petite bande avec Haneul, Linh, son copain -j’ignorais si elle en avait un désormais- et moi-même. D’ailleurs avec Linh, c’était souvent « Je t’aime moi non plus », chats et chiens mais rien de méchant. On était bien tous ensemble…Jusqu’à ce qu’elle disparaisse de notre vie.
Je n’avais pas de souvenir particuliers d’avoir parlé à Linh après l’incident, je n’étais pas en état et elle non plus sûrement ? Les images floues se succèdent, mais je n’ai pas envie de m’en rappeler maintenant, les plaies risquant de se rouvrir. Je crois que je m’étais fabriqué une carapace, un bouclier contre ces souvenirs trop douloureux en effaçant certains visages ou moments clés de mon adolescence.
Et maintenant que dire ? Peut-être qu’elle n’avait pas envie de me parler, ou bien de me voir pour x raison ?

« En vrai, je ne m’attendais pas à te revoir…dans ces conditions » dis-je ne reportant mon regard sur la route, m’arrêtant à un feu rouge.

J’avais tellement de questions à lui poser -et pas nécessairement de ce qu’il s’était passé quelques minutes avant-. Qu’est-ce qu’elle a fait pendant tout ce temps ? Est-ce qu’elle a tourné la page sur Haneul ? Est-ce qu’elle a bien réussi son rêve ? Mais chaque chose en son temps, les réponses ne tarderaient pas à venir.

Malgré cette ambiance pesante, j’arrive à lâcher un petit rire. Oui, j’avais bien remarqué qu’elle ne m’avait pas reconnu, mais le temps file et les souvenirs qui s’effrite ou bien que l’on choisit de ne pas se remémorer y sont pour quelque chose.
J’écoute attentivement ce qu’elle me raconte avant de lui dire avec sincérité:

« En fait, je ne savais pas trop quoi faire de ma vie…Il faut dire que…hum…Comme toi, j’ai un pouvoir qui m’en a fait baver au début…Et puis comme je n’ai pas pu faire mon service militaire, j’ai voulu devenir policier pour compenser. »

Je ne suis pas certain que lui raconter ma vie l’intéresse réellement à ce moment précis, mais plutôt de savoir ce qui allait lui arriver dans les deux prochaines heures. Même si moi, je pouvais la sortir de ce pétrin assez facilement, je sais qu’une plainte allait être dirigée contre Linh, et ça , elle allait devoir s’expliquer pour son acte, malheureusement.

« Je dirais plutôt que c’est un drôle de concours de circonstances… »

Après tout, rien n’avait été fait au hasard d’après moi. Si moi je suis devenu Seonchul et d’autres maudits, ce n’était pas pour rien. Du moins, je l’espérais. Parfois, je me disais que ma vie était déjà tracée, écrite dans un bouquin, et chaque jour je découvrais un chapitre.

Arrivés au poste de police, je la fais sortir avant de lui demander de me suivre. Au commissariat, il y a tout type de personnes qui se retrouvent pour des dépositions, des plaintes ou des témoignages. Je fais patienter Linh quelques instants sur une chaise près de mon bureau avant de me diriger vers les toilettes discrètement où je respire un bon coup, sentant mon coeur se serrer encore d’avantages que dans la voiture. Revoir Linh m’avait comme donné un coup au moral, et cela faisait un moment que je n’avais pas ressenti cette mélancolie profonde qui m’avait accompagné durant tant d’années. Je ne disais pas que mon humeur était à cause de Linh, mais elle était tellement investie dans mon passé avec Haneul, que malheureusement, tous les bons moments passés avec elle et Haneul devenaient de malheureux souvenirs pour moi. Je savais qu’avec le temps ça allait passer, que j’allais changer d’avis et me dire que finalement c’étaient de très bons souvenirs, mais il était encore tôt pour le dire.

Je me passe un coup d’eau sur le visage et me donne un peu de courage avant de retourner voir ma vieille amie -enfin du moins je pensais qu’on l’était encore- pour m’asseoir à mon bureau et de sortir un dossier vierge où j’allais remplir les réponses qu’elle me dirait.

« Désolé, mais c’est la procédure. Je vais te poser des questions et je vais te demander de me répondre sincèrement. »

J’étais redevenu sérieux en cet instant où cette fois, tous ses mots allaient compter. Cependant, j’allais devoir trafiquer le document. Comment mettre « Sa main peut s’allonger et s’affiner à sa guise dans une fente pas plus épaisse qu’un cahier » ? Improbable.

« Pourquoi as-tu fait ça ? »

Je pose mon regard sur elle, calme, sans aucune agressivité pour que cet entretien ne se passe sans encombres, du moins je l’espérais.

Je reste sans expressions alors que je prends note de sa réponse. Je dois avouer que j’étais surpris. Pas d’argent ? Je me demandais bien comment elle avait pu en arriver là, mais ce n’était que de la curiosité personnelle. Je me racle la gorge doucement avant de la regarder. Je voyais bien qu’elle était gênée, prise de remords quant à son acte qui devait cependant la faire survivre, et je comprenais parfaitement. Je commençais même à comprendre ce qu’il s’était passé.

« Est-ce que tu voles fréquemment ? As-tu un travail ? »

Ceci n’était pas une question pour l’enfoncer un peu plus, mais je devais poser cette question qui devait justifier son manque de revenu. Mais je supposais que ce n’était pas que cette raison. Elle me cachait quelque chose et je pensais savoir ce que c’était. J’avais vu précédemment son pouvoir, mais elle semblait le nier devant moi, alors autant suivre ce chemin pour l’instant. Peut-être aurais-je une chance d’aborder ce sujet dans un endroit moins hectique et aussi quand je ne l’interroge pas en tant que policier.

« Désolé, je suis obligé de poser ces questions.»

Je tentai de la rassurer, mais comment voulez-vous rassurer quelqu’un au beau milieu d’un interrogatoire de police où vous êtes arrêté comme voleur ? C’était presque mission impossible. Je pose mon stylo et regarde autour de nous, mes collègues étant occupés à leur propre occupation, je pousse un soupire avant de fermer les yeux.

« Tu sais quoi ? Il n’y a pas assez de preuves tangibles. Tu n’es pas une criminelle récidiviste ni de grande envergure, je ferai en sorte que le propriétaire ne porte pas plainte contre toi. Tu seras libre, mais...si tu te fais prendre encore une fois, ça sera plus compliqué.»

En vérité, le cas était beaucoup trop complexe pour que l’on puisse régler ça normalement. Entre Seonchul, mêler la vie courante à la notre était compliqué, bien que ça pouvait sauver la mise de temps en temps.

Je griffonne quelques mots dans le dossiers, puis prends mon tampon pour clôturer le dépôt de réponses. Je croise mes bras et la regarde avec un petit sourire. Autant oublier cet incident et changer d'atmosphère.

« J’ai pas encore mangé moi non plus, alors je t’invite à manger. »

Ce n’était pas une proposition, mais belle et bien une affirmation. Peut-être qu’elle allait penser que c’était de la pitié, mais ça n’était pas le cas. Linh faisait partie de mon cercle d’amis le plus proche, amis avec qui je me suis éloigné au fil des années. Certains avaient fait l’effort de demander des nouvelles, mais je n’avais pas pris la peine de leur répondre, trop emmurer dans ma peine et ma douleur pour leur daigner prêter attention à leur soudaine inquiétude à mon sujet.

Je me lève et prends ma veste, l’invitant à sortir du bureau.

« Attends-moi ici, j’arrive. »

J’hoche la tête calmement en rangeant après le tampon pour regarder ma suspecte. Elle était mignonne à se faire du soucis comme ça. Pensait-elle réellement aller en prison pour si peu ?

« Puisque je te le dis…Mais comme je te l’ai dit, si tu recommences et que tu te fais choper, ça ne sera plus la même chose. »

Les soupçons sur une voleuse qui récidivait se confirmait toujours lors des plusieurs prises, mais la prison était inévitable à un certain moment, et moi, je ne pourrai plus l’aider si jamais.

Je la regarde et lui dis calmement en prenant son poignet pour sortir du commissariat.

« Prends ça pour une réunion de retrouvaille de lycée ok ? C’est pas grand chose. Je sais que tu peux te débrouiller, tu l’as toujours fait. »

Je lui souris une nouvelle fois et fait un signe à mes collègues avant d’ouvrir la porte. A vrai dire, je voulais lui poser plein d’autres questions qui n’avaient rien à voir avec ce qu’elle avait fait. Je voulais parler de Haneul, enfin si je pouvais. Bref, je voulais aussi découvrir qui était la Linh d’aujourd’hui. Il y avait dix ans de différences et de changement, alors je ne pouvais pas lui parler comme la Linh d’il y a dix ans, quand nous étions des adolescents insoucieux, heureux, et encore inconscients du malheur qui allait arriver.

Je la fait monter de nouveau dans la voiture, puis m’installe au volant pour aller vers le restaurant où j’allais souvent manger. Un bon barbecue, quoi de meilleur ? En plus, les propriétaires étaient super sympas. Je garde encore le silence dans la voiture, me concentrant plutôt sur les questions que j’avais à poser ou d’autres pensées volages, plus ou moins sombres. Mes doigts se serrent autour du volant. J’ai de nouveaux ces palpitations qui me serrent le coeur et me donne presque la nausée. J’avais une bonne excuse plus tôt pour ne pas y penser, mais maintenant que nous étions dans un autre cadre, autre que professionnel, je n’arrivais pas à penser à autre chose.

Je déglutis et pose mes yeux sur Linh. A l’époque, elle avait un copain, et moi j’avais une copine. Où en était-elle maintenant ? Ah, trop de questions se bousculaient dans ma tête.

« Alors, tu deviens quoi depuis ? »

Je brise le silence, ne pouvant plus me retenir de satisfaire ma curiosité envers mon amie d’enfance. J’avais en quelques sortes coupé les ponts entre moi et les autres quand Haneul nous quitta. J’étais absorbé par un trou noir, les douleurs et les larmes n’étant que mes seules amies durant ce douloureux moment. Et depuis, je regrettais un peu sûrement de ne pas avoir pris les mains tendues, et peut-être que Linh l’avait fait ? Aucune idée.