Il se demandait parfois comment il avait fait pour décrocher ce travail. Le propriétaire avait-il eu pitié de ce jeune à peine sorti du lycée à l’air apathique se mordillant l’intérieur des joues jusqu’au sang -il allait d’ailleurs devoir faire quelque chose pour ce tic un de ces jours. Ou bien n’avait-il tout simplement pas eu le choix ? La deuxième option était la plus probable, mais il ne s’en plaignait pas. Les gens de son âge avait suffisamment de soucis à trouver du travail pour qu’il sache être reconnaissant face à une telle opportunité - un salaire basique, un patron quasi jamais sur son dos, pouvoir travailler la nuit, la solitude. Le seul véritable désagrément qui lui venait en tête était la clientèle alcoolisée plus ou moins casse pied selon les jours et qui avait une préférence pour l’allée principale pour déverser le contenu de leurs estomacs. Il soupira lourdement alors qu’il terminait d’effacer le passage d’un de ces fameux clients trop alcoolisés avant d’aller vider l’eau du seau dans les toilettes. Son service avait été plutôt calme jusqu’à maintenant, ayant ouvert boutique à dix-neuf heures. Une fois ses mains lavées et débarrassées de l’odeur de détergent, il sortit le smartphone de sa poche. On approchait des deux heures du matin. Il pouvait bien s’accorder une petite pause. Jun attrapa son chips entamé ainsi que sa bouteille de thé avant de passer les portes automatiques. Il n’y avait qu’une seule entrée, le magasin ne risquait rien et il restait juste devant, sur un banc public.

Il laissa échapper un énième soupir alors que son postérieur touchait enfin le banc rafraîchie par la brise nocturne avant de commencer à grignoter. Il leva les yeux vers le ciel noir d’encre. Il n’avait pas vu les étoiles depuis un moment, pensa-t-il. Peut-être qu’un week-end hors de la ville ne serait pas une si mauvaise idée. Plus vite qu’il ne l’aurait cru, il termina ses chips et se décida à allumer une cigarette. Lorsqu’il détacha enfin ses yeux du ciel, il la vit approcher. Tiens, une habituée. Il n’aurait pas terminer sa cigarette d’ici à ce qu’elle arrive jusqu’au magasin, mais il pouvait bien la laisser deux minutes dans le magasin sans qu’elle tente de voler le contenu de la caisse, pas vrai ? Il lui accorda un léger signe de tête lorsqu’elle ne fût qu’à deux mètres de lui.

“Bonsoir. J’ai presque fini ma cigarette, vous pouvez entrer.”

Les yeux rivés sur l’écran de mon ordinateur, je lâchais un énième soupire. En les levant vers l’horloge accrochée au dessus de mon bureau, ces derniers s’ouvrirent grand. Je venais de passer près de deux heures à gribouiller, à galérer sur un seul foutu dessin. J’étais censée publier la suite de mon webtoon demain, et rien n’était terminé. Parfois je me demandais pourquoi je continuais à faire ça vu le nombre de retours positifs que je recevais. Autant tout abandonner. Je continuais à m’apitoyer sur mon sort, tournant sur ma chaise de bureau comme une enfant de cinq ans. Au bout de quelques instants, je m’arrêtais net en posant mes mains sur le bureau, entendant mon ventre gargouiller. Enfin non, en entendant mon ventre rugir littéralement. Mes graces matinées, suivies de mes après-midi de service au café et de mes nuits à dessiner ne m’aidaient pas à vaincre la flemme de faire mes courses. Le résultat était accablant : je n’avais strictement rien à grignoter. Je n’avais d’autre choix que de sortir et d’aller à la supérette du coin. Comme si c’était dérangeant, je risquais de voir le beau gosse qui y travaille. Parfait pour changer d'air. Souriant comme une idiote, je filais vers le miroir de mon armoire afin de voir l’étendue des dégâts : une queue de cheval à moitié défaite, mes lunettes de travers, des cernes totalement cernées, un vieux slim troué et un sweat à capuche trop grand. Hm, pas si mal pour une fois !

J’attrapais mon portefeuille avant de le mettre dans la poche ventrale de mon sweat avant d’enfiler une paire de baskets, faisant attention à bien mettre les deux même cette fois. Refermant la porte derrière moi, je décidais d’user de mon pouvoir pour descendre. Me faire sermonner par la gardienne à cause de ma démarche d’éléphant dans les escalier étaient assez pénible. Je me téléportais donc de quatre étages, jusqu’à une porte du rez de chaussez, endroit jamais utilisé par les autres habitants de l’immeuble. Oui, j’avais mes petites combines. Je regardais mon vélo, hésitant un instant avant de le laisser dans le local, marcher me ferait le plus grand bien.
Même en marchant lentement, bien que mon estomac ne soit pas d’accord avec mon allure, j’avais réussi à atteindre la supérette en moins de dix minutes. J'apercevais au loin “le beau gosse du service de nuit” assis sur le banc qui faisait face au magasin. Même si je détestais la cigarette, je ne pouvais pas nier que ça lui ajoutais un petit truc "bad boy". J'adorais ça. Sans même pouvoir y faire quoi que ce soit, je sentais mes joues virer au rouge. J’aurais dû détacher mes cheveux, j’aurais pu essayer de me cacher dedans. J’étais à quelques mètres seulement, lorsque sa voix se fit entendre dans le silence nocturne. L’idiote que j’étais sursauta. Évidemment, il fallait que je sois ridicule.

“B-bonsoir. Je, heu.. Merci.”

Voilà les seuls mots que j’avais réussi à prononcer. Sans plus attendre, j’entrais dans la boutique et me dirigeais en direction du rayon chips. On ne pouvait pas plus healthy : apport quotidien de fruits et légumes, huh. Je saisis le paquet cylindrique de chips crème oignon avant de me diriger vers les céréales. Il fallait bien que je mange demain matin. Un paquet de corn flakes ferait l’affaire. Passant devant les sucreries, je fermais les yeux, préférant ignorer cette partie des rayons. Un petit détour pour aller chercher mon baume à lèvre favori et hop, je pouvais aller à la caisse. Mais bien sûr, la vie n’était pas si simple. Je n’avais pas vu que le carrelage était mouillé. Je n’avais pas non plus vu l’espèce de panneau jaune, celui qui indiquait “ATTENTION, sol glissant”. Non. Je m’étais donc pris les pieds dedans en glissant sur le sol, poussant un couinement ridicule dû à la surprise. Je fus d’ailleurs plus qu'étonnée de tomber sur du mou. J’ouvrais les yeux, lentement afin de constater le carnage. J’étais tombée sur une pyramide de papier toilette. Et évidemment je l’avais renversée. Un long soupire de soulagement s’échappait de mes lèvres. Ouf, rien de cassé de ce côté. Mon regard était alors immédiatement porté vers ma bouffe, lâchement abandonnée dans ma chute théâtrale. Tout allait bien, second ouf. Je ramassais mon précieux avant de me relever comme une éclopée. J’allais certainement avoir un bleu, super. En me relevant, je rencontrais un regard qui n’avait pas l’air tout à fait enchanté de la situation. Mon soulagement se changeait bien vite en sentiment de culpabilité et surtout en gêne.

Du coin de l’oeil, il regardait la brune entrer dans le magasin avant de sortir son portable de sa poche. Aucun message, aucun appel. Il ne pouvait pas prétendre être surpris. C’était son quotidien après tout. Il espérait toujours malgré tout, naïvement, que son paternel cherche un jour à renouer avec lui, qu’il le laisse faire partie de sa vie. Mais ça n’arriverait sûrement jamais et Jun avait passer l’âge de croire au Père Noël et aux miracles.
Il remit son portable dans la poche de son jean puis tira une dernière latte de sa cigarette. Il avait un travail à faire. Le jeune homme se leva enfin de son banc, s’étira puis retourna dans l’espace climatisé de la supérette, son petit royaume et seule source de rapport sociaux dans sa vie. C’était bien triste d’ailleurs, en y repensant. A en croire les générations précédentes, Jun était en train de gâcher sa vie. Mais c’était la sienne après tout. Il n’avait pas d’ambition particulière mais il ne pouvait pas non plus prétendre vivre si mal que ça. Il avait un toit sur la tête, de quoi manger. N’était-ce pas là le principal ? Il soupira une énième fois avant de laisser son regard se balader sur la pièce, cherchant sa cliente. Fameuse cliente qui se dirigeait pile vers le coin qu’il avait nettoyé il y a peu. Génial. Fabuleux.

“Ne passez pas par là. C’est-”

Il n’eût même pas le temps de se faire entendre par la jeune femme. Il retirait ce qu’il avait dit plus tôt : sa vie était un enfer et il aurait préféré se jeter sous les roues d’un bus plutôt que de vivre un instant de plus.
Il passa ses mains sur son visage, tentant de calmer son agacement qui avait tendance à rapidement devenir colère lorsque sa patience commençait à se faire rare. S’il n’y avait pas eut les caméra de sécurité, il l’aurait tuée avec ses chips. Elle avait l’audace de paraître soulagée de ne pas s’être fait mal en plus. Non, vraiment, quelqu’un allait mourir ce soir. Et si ce n’était pas Jun, ce serait elle. Il s’approcha et se planta devant la scène de crime, les bras croisés et le regard mauvais.

“Mademoiselle, je vous prierai de remettre en état la pile. Mon supérieur n’aime pas lorsque les clients mettent le souk dans le magasin.”

Je regrettais de ne pas m’être cassé quelque chose. Le regard du beau gosse était si sombre que j’avais l’impression que mon âme était sondée. Si des flammes avaient pu surgir de ses yeux, j’aurais été totalement carbonisée. Voilà, mes envies bizarres de nourritures au beau milieu de la nuit m’avaient finalement amenées à ma perte. Ma mère avait raison. Elle qui me répétait que “à force de réfléchir avec ton estomac tu auras des problèmes”, et bien elle ne se trompait pas. J’allais certainement mourir ce soir, étouffée par du papier toilette… Bien que la situation ne s’y prête absolument pas, je sentais mes pensées divaguer. Sacrément beau gosse quand même. Hm. Du calme Haejin. Mon cerveau se reconnectait à la réalité en entendant la sentence tomber. Refaire la pyramide de papier cul..

“J-je.. Oui, bien sûr ahahahah refaire la pile, c’est logique ! J-je suis la reine de la pile c’est comme si c’était fait !”

Je me tournais totalement au ridicule. Mes joues étaient tellement rouges que j’avais l’impression de faire une surchauffe. Quelle débile.. “la reine de la pile”... Et pourquoi pas miss papier toilette 2K18 ? Park Haejin tu n’es qu’un incapable. Mais une incapable qui va devoir se bouger pour reproduire une oeuvre d’art. Je commençais alors sans plus tarder sous peine de me prendre quelque chose en pleine tête. Tout d’abord ranger ce qui était tombé. Ensuite faire les “fondations”. J’aurais du prendre des notes quand je regardais des films de la momie, ça m’aurait certainement aidé... Dommage.
Au bout de longues minutes de calculs savants et de réflexions d'architectes, je me rendais compte que je devais faire face à un problème de taille. Littéralement. J’était beaucoup trop petite pour finir d’ériger cet édifice. Deux choix risqués s’offraient à moi : soit je jouais les Indiana Jones et j’escaladais cette montagne branlante tout en prenant le risque de tout recommencer et/ou de me casser un membre, soit je devais demander de l’aide à l’employé et me faire tordre le cou. Mon corps servirait certainement à accomplir un rituel païen pour assurer longévité et richesse. C’est après avoir pesé le pour et le contre des deux que je décidais de faire face au beau gosse. Si je dois mourir, au moins j’aurai une vision agréable. Mieux que me briser la nuque devant du pq. J’approchais alors lentement mais sûrement de la caisse.

“Hm, heu, pardon mais je.. Ahahahah c’est bête mais heu.. Je suis trop petite pour finir.. Il heu, il en reste pas beaucoup, il en reste 3 mais je peux pas les mettre c’est vraiment co-bête.. Ah..Ahahah..ah..”

Ce rire idiot me sortait par les trous de nez. Depuis quand je riais comme ça ? Mon rire nerveux ne ressemblais pas à ça. J’avais juste l’air d’une grosse gourde. Haejin la giga gourde… J’aurais du mourir sur la pile de papier toilette en fait.