C'est étrange. De se dévoiler comme ça. D'avouer, du bout des lèvres, ce don que tu t'es découvert il y a de cela quelques années déjà. La capacité de voler le mal des autres, pour mieux l'encaisser en silence. Souffrir pour ceux qui ne le méritent pas. Tu ne le connais pas, pas vraiment. Mais qui mérite de souffrir chaque fois qu'il touche un autre être humain ? Qui mérite de vivre en marge des autres, incapable de supporter une étreinte ? Mais tu te sens obligée de te confier. De lui assurer que non, ce n'est pas lui qui t'a blessée, mais bel et bien toi qui en a pris la décision. Alors toi aussi tu es maudite... Maudite. Tu y as souvent pensé. Tu t'es souvent demandé s'il s'agissait d'un don ou d'une malédiction. A trop avoir encaissé la douleur sans rien dire par le passé, ta propre douleur, voilà que tu étais devenue capable de prendre sur tes frêles épaules celle des autres. Tu ne lui répond pas, te contentant de hausser les épaules. Un don pour les autres, et pour toi... c'est peut être un peu des deux. A la fois un don et une punition. Puis, les questions affluent. Tu lèves vers lui un regard désarçonné, tentant d'assimiler une par une les questions qu'il te pose. Tout en frottant nerveusement tes mains l'une contre l'autre, tu baisses à nouveau les yeux. « Je ne le contrôle pas... pas toujours. La plupart du temps j'agis sous le coup des émotions. » Spontanément. Il te suffit d'être paniquée devant une personne blessée, pour que tes doigts agissent, volent la peine, débarrassent l'autre de son mal. Tout comme tu l'as fait avec lui dans ce bus, sous le coup de la surprise. Ou à l'instant dans cette rue déserte. Par peur, par remords, par désir ardent de retirer cette grimace de ses traits si désespérés quand il te regardait. « C'est pas vraiment facile de s'entraîner... les blessés ne courent pas les rues. » Tu pinces les lèvres, ajoutant par ailleurs à voix basse : « Et aller voir un parfait inconnu pour le guérir... Je finirai vite comme un monstre de foire. » Tu as toujours agi discrètement, dans l'ombre, par peur du regard des autres. Sauf peut-être du sien. Rien que du sien.