Ta matinée a été bercée par quatre longues heures de cours magistral ; c’était très ennuyeux mais tu as fais de ton mieux pour suivre sérieusement le cours. L’après-midi, tu sais que tu vas avoir un livre épais à potasser et tu l’as emporté avec toi, exceptionnellement. Ton héritage t’a permis de t’acheter un ordinateur flambant neuf ; au début, tu as un peu culpabilisé d’avoir dépensé autant d’argent, en te disant que tu aurais peut-être pu trouver aussi bien moins cher, pourtant, maintenant que tu te l’aies bien approprié, tu ne regrettes absolument pas ; sa performance est parfaite pour l’université et il est relativement compact.

Le midi se passe plutôt tranquillement ; tu manges avec tes amis et tu rigoles beaucoup. Tu en profites pour faire quelques photocopies pour des travaux à faire pour d’autres cours. Tu croises quelques connaissances, puis tu t’en vas vers ton café préféré qui n’est pas très loin de chez toi. Tu l’apprécies tant que tu t’es lié avec les personnes qui y travaillent, certaines du moins. En bus c’est un peu plus loin de la fac du coup, mais au moins, ça te rapproche de ton appartement.

Sur le chemin tu écoutes de la musique, tu te perds dans tes rêveries. La Nouvelle-Zélande, c’était bien chouette. Quand tu y penses tu as un peu le mal du pays ; tu aurais presque eu envie d’y retourner ; d’autant plus qu’il y avait cette fille qui te plaisait plutôt bien. A l’heure actuelle, ça serait l’été. Rien que d’y penser, ça te donne une cruelle envie de te déshabiller et d’aller te baigner dans l’océan. Mais à Jeju il ne fait pas vraiment les mêmes températures, et l’idée te donne finalement plutôt froid. Tu descends du bus et marche sur 200m jusqu’à ton café favori.

Tu t’apprêtes à entrer dedans étudier et là, tu tombes nez-à-nez avec une personne que tu n’aurais jamais cru revoir de toute ta vie, tu manques presque de lui rentrer dedans ; impossible de lui faire croire que tu ne l’as pas remarqué. Tu arrêtes de respirer alors que tes yeux se perdent un instant dans les iris de ta soeur. Ca fait combien de temps que tu ne la pas vue ? Cinq ans ?

Ta tête cogite toujours mais tes pieds, eux, te font déjà faire demi-tour. Tu as honte, tellement honte, et tu t’en veux profondément. Tu ne sais pas ce que tu es supposé faire. Les mots te manquent. Ca fait si longtemps.

Pourtant, tu n’iras pas loin.
Le visage de Mee Joo ne semble pas indiquer son intention de te laisser t’enfuir à nouveau.

L’hiver s’est installée sur la ville et, toute emmitouflée dans son manteaux, Mee Joo marche en plein coeur du centre-ville de Jeju-do afin de trouver un peu de réconfort dans un café. Une fois ses doigts enroulé autour du carton, elle sait qu’un peu de chaleur pourra la réchauffer. Il fallait qu’elle sorte, qu’elle prenne l’air quand bien même elle déteste le froid de cette saison affreuse. Vivre avec la personne qui vous a brisé le cœur en mille morceau est plus compliqué qu’elle ne l’aurait imaginé. Avec Na Bae qui fait la morte et son petit frère qui vit chez les parents Choi, elle se sent plus seule qu’elle ne l’a jamais été. Sa vie semble avoir basculé depuis l’été dernier, d’une force incommensurable. Parfois, elle se demande si le destin aime vraiment lui faire la misère.

La brune veut son chocolat aux épices ainsi que ses petits biscuits qui croustillent, qu’elle pourra tremper à son aise dans le mélange foncé. C’est lorsqu’elle arrive tout près du café qu’elle croise son regard. Celui qu’elle n’aurait jamais pensé revoir après sa disparition, son départ, son abandon. Leurs pupilles se croisent et elle sait avec certitude que lui aussi, il l’a reconnue. Mee Joo le voit faire demi-tour, laissant ses jambes le transporter loin d’elle. Il veut encore fuir ? Elle ne mérite pas une seule explication ? Une seule excuse ?

Sans réfléchir, elle laisse sa main s’abattre sur le bras de son frère alors qu’elle vient juste de courir et zigzaguer entre les personnes pour arriver à sa hauteur. « Hé ! Toi là ! » Pour une fois, elle se fiche du regard des gens. Mee Joo sent bien que tous sont intrigués et qu’elle vient de se montrer des plus impolie, que ce soit un inconnu ou non. « Comment tu oses faire comme si tu me connaissais pas ? » La brune parle plus fort qu’elle ne l’aurait voulu, mais c’est la colère qui prend possession d’elle tout entière. C’est son cœur meurtri qui parle.

« Je pense que j’ai droit à une explication, non ? Cinq ans. T’es parti pendant cinq ans… » Et ce fut à elle de s’occuper de son jeune frère, de prendre les soucis sur ses épaules et de faire semblant. Maintenant que sa mère à réussit à se débarrasser de Mee Joo et de Jae Sun, la jeune femme n’a plus que le plus jeune pour famille. Jusqu’à cet instant. Jusqu’à ce qu’elle revoit Hanjae face à un café.

Sa main agrippe toujours le tissu de la veste du jeune homme, avec une force si ridicule qu’il suffirait d’un revers pour qu’il puisse s’en aller. Avec toute la force du monde, la lycéenne contient ses larmes bien que ses yeux brillent de mille éclats. « T’avais pas le droit de nous laisser. » Ses paroles sont froides, tranchantes. Il lui a tant manqué… Et pourtant, elle ne lui avouera jamais.

Elle l’interpelle et il plisse les yeux. S’il avait pu courir tu l’aurais fait, mais ça ne ferait qu’aggraver son cas. Il ne se retourne pas, à part quand elle se saisit de son bras. Les mots de Mee Joo résonnent en lui comme il y a cinq ans. Ce qu’il a fait il y a cinq ans résonne encore plus. Il ne peut lui faire face. Il évite son regard et il la laisse vider son sac, silencieux. Hanjae se prend 5 ans dans la gueule.

Cinq ans. Ses yeux se posent sur elle et c’est à peine s’il la reconnait, lui ; elle a tellement changée, tellement grandie.

Il la revoit tomber dans les escaliers, lui la poussant. Ca lui est insupportable. Il ne comprend pas comment ça a pu arriver. Hanjae ouvre plusieurs fois la bouche sans que rien n’en sorte jamais, aucun son ne franchit la barrière de ses lèvres. Ses yeux s’embrument de larmes, sans qu’elles ne roulent jamais sur ses joues.

Les doigts d’Hanjae viennent se poser sur ceux de sa soeur, pour décrocher sa main de son manteau, tandis qu’il lui tourne le dos, sans un mot. Il est tétanisé. Il garde sa main quelques secondes dans la sienne avant de la lâcher, toujours la tête baissée. Il fait un pas en arrière avant de lui tourner le dos. Il déglutit difficilement puis murmure, la gorge nouée :

— Suis-moi. On va parler, au calme.

Hanjae essaye de se donner contenance quand il n’en a aucune. Il pensait être au-dessus de tout ça, mais il faut croire qu’il n’a jamais prit le temps d’aller mieux, qu’il a laissé la douleur dans un coin de son esprit.

Il n’a pas envie de s’afficher dans la rue, alors il se met à marcher en direction de son appartement, qu’il partage en colocation. Ceci dit, ce dernier ne devrait pas être rentré, ils devraient avoir quelques heures devant eux pour discuter.

Pour le reste, Hanjae reste silencieux tout le long du trajet, osant à peine renifler, refusant de faire face à Mee Joo et de lui montrer ses larmes. Il rentre dans son appartement telle une furie ; les chaussures rapidement déchaussée, le sac laissée sur le sol dans l’entrée, le manteau jeté sur le dossier du canapé.

— Fais comme chez toi, lance-t-il, disparaissant dans la cuisine.

Il attrape des verres propres sur le rebord de l’évier, qu’il remplit d’eau. Il en vide un d’eau trait, apporte l’autre à sa soeur. Il tourne et vire comme ça encore un peu, le temps d’attraper son paquet de cigarette et de s’en griller une. Il avait pas de tunes, mais pourtant, fumer est une habitude qu’il a prit en habitant dans son ancien taudis avec ce minable qui lui servait de colocataire. Il se met plutôt loin de sa soeur pour le coup ; pas pour l’éviter mais plus pour éviter de lui cracher la fumée dans la figure ou de la gêner avec l’odeur de la cigarette. Malgré tout elle reste mineure.

— Je suis désolé, dit-il enfin. Je… C’était au dessus de mes forces. J’ai jamais voulu te faire du mal. Je… Je voulais pas te pousser.

Il lui a manqué, terriblement, pendant ces cinq longues années. Mais elle n’en montre rien. Son visage n’est déformé que par un mélange de colère et de tristesse, qui ont toutes deux eux le temps de grandir en elle jusqu’à devenir de véritables monstres. Sa voix se fait plus forte qu’elle ne l’aurait voulu, avec plus de hargne et de sécheresse. Mee Joo reste accrochée si fort qu’elle ne le remarque que lorsque les doigts de son frère se posent sur les siens pour qu’elle relâche sa veste. Hanjae reste silencieux, les yeux brillants de larmes qui ne coulent pas. Ses poings la démange. Elle voudrait qu’il parle, qu’il dise n’importe quoi. Au moins une réponse. Mais rien ne sort de ses lèvres. Seule sa main tient un instant celle de la plus jeune. Un contact dont elle a longtemps rêvé et qui, pourtant, ne semble pas à la hauteur de ses espérances. Peut-être parce qu’elle a trop souffert.

L’homme lui tourne le dos, la tête toujours baissée, et ses mots se transforment en un murmure à peine audible. L’adolescente n’a pas véritablement envie de le suivre dans un lieu inconnu, mais ils ne peuvent clairement pas rester debout au milieu de cette rue. Alors elle lui emboite le pas dans un silence de mort, qui se prolonge durant les minutes que constituent le trajet jusqu’à l’appartement de son frère. Même si Mee Joo entend clairement les reniflements du garçon, elle les ignorent en se disant qu’il lui tourne le dos et reste silencieux pour ses propres raisons. La brune est emplie de colère, mais elle n’est pas sans cœur malgré ça, et il reste ce frère qu’elle a tant aimé et qu’elle a toujours respecté.

Une fois à l’intérieur de l’appartement, Hanjae se déchausse, laisse son sac dans l’entrée, et jette son manteau sur le canapé en invitant sa sœur à faire comme chez elle, entre ces murs qui ne sont pourtant pas son toit. « C’est... C’est chouette. » Un bref sourire éclaire son visage. C’est plus petit et moins luxueux que ce à quoi ils ont toujours été habitués, mais c’est son chez lui. Maintenant que Mee Joo vit avec Dong Chul, elle réalise combien avoir son propre foyer, son propre chez soi était important. Même si tout est encore ô combien compliqué avec son fiancé, elle a fini par se sentir chez elle à ses côtés. C’est lui, son foyer. Jamais elle n’osera lui dire, pourtant c’est une vérité. Aussi vrai que la terre tourne autour du soleil.

Hanjae lui tend un verre, qu’elle prend entre ses petits doigts ; il s’éloigne, s’allume une cigarette ; il parle, il s’excuse. Ces mots, Mee Joo les attend depuis une éternité. Comme quelque chose de salvateur qui saura la sauver de sa profonde détresse, de son horrible besoin d’être aimée, de sa peur terrible de pouvoir tout perdre. Pourtant, ils lui font l’effet d’une brise, presque inexistante. « Je sais… Je sais bien que tu ne voulais pas me faire de mal. Tu n’aurais jamais pu me blesser volontairement. Ce… C’était pas ta faute Hanjae. » Et la lycéenne pensait tous ces mots, le plus sincèrement du monde. Ses pupilles se détournèrent, cherchant dans cette pièce inconnues n’importe quoi d’autre à regarder que les yeux brun de son frère, parfait reflet des siens. « Je ne t’en veux pas pour ça. Comment le pourrais-je ? » Instinctivement, une de ses mains vient se poser sur sa cuisse, juste là où se trouve sa cicatrice. Même avec cette trace, elle ne lui en voulait pas.

C’est en vain qu’elle tente de retenir les larmes qui commencent à rouler sur ses joues. A cet instant précis, elle se brise devant Hanjae. Elle a du se montrer fort pendant si longtemps, sans aucune personne, ou presque, sur laquelle s’appuyer. Seule Na Bae, qui l’a effacée par erreur de ses souvenirs. Certaines personnes, sans connaître l’histoire entière, seulement quelques chapitres. Ceux qu’elle voulait bien leur partager. « Je t’en veux parce que tu es parti sans jamais revenir, nous laissant avec… cette femme. Jamais elle n’a été une mère pour nous. On y était habitués. On était là pour se soutenir. Puis… tu as disparu et je n’avais plus aucun soutiens. » Seule, face à un beau-père qu’elle n’a jamais apprécié et une mère qui n’a jamais su avoir un comportement en conséquence. Mee Joo renifle, chassant les larmes sur ses joues avec son poignet. « Et Jae Sun… Ce frère que tu n’as jamais connu. Il ne méritait pas une telle vie. Tu aurais pu être là pour lui… » Pour cet enfant de bientôt cinq ans qui ne mérite pas de vivre la même vie que ses aînés. Maintenant qu’il est chez les Choi, il semble plus heureux, ils lui offrent plus d’attention, même s’il ne se doute pas que sa génitrice a lâchement abandonné ses deux enfants à cette riche famille. Pas encore.

— C’est pas ce à quoi on a été habitué, je te l’accorde, mais on s’y fait. Un peu trop même, lance-t-il en esquissant un sourire triste, à travers l’appartement. J’ai un coloc mais ne t’en fais pas, il ne devrait pas nous interrompre.

Il continue à remuer dans la cuisine quelques minutes tout en continuant à parler. Avoir un véritable chez soi est réellement libérateur. Il essaye de s’imaginer sa vie s’il avait fait les choses différemment. Mais il ne voit pas beaucoup d’issues. Il aurait inéluctablement fini par partir, la majorité atteinte. A l’âge où il est parti, il aurait été inenvisageable de partir avec Mee Joo ; ils étaient tous les deux mineurs et si le jeune homme avait bénéficié d’une émancipation de la part du tribunal, il n’aurait certainement pas pu partir avec sa soeur. D’un côté car même émancipé, il restait mineur, de l’autre parce que Jae Sun serait resté derrière et il n’est pas sûr que la gamine l’aurait suivi dans ces conditions. Il reste longuement pensif, à se demander comment il l’aurait vécu si leur position avait été inverse. Il aurait certainement subi, comme elle, avec un gosse à prendre en charge malgré elle, laissé de côté par sa propre mère, obnubilée par son propre intérêt. Mais il faut dire ce qui est ; Mee Joo a peut-être moins subi que lui, l’enfant unique d’un homme qui n’est plus ; un enfant qu’on est obligé de prendre en charge pour sauver les apparences, mais qu’on aurait noyé si ça avait été un chaton. Il a toujours été de trop, on le lui a toujours fait comprendre.

L’étudiant en droit reste silencieux. Il sait qu’il a tort. Il sait qu’il a merdé. Il tire sur sa cigarette avec une nervosité difficilement dissimulée. La cigarette se consume rapidement. Bien plus rapidement qu’à l’accoutumée. Il secoue la tête avec désapprobation quand elle dit qu’elle ne lui en veut pas pour sa chute. Elle devrait lui en vouloir. Un véritable frère ne prendrait pas la fuite ainsi quand sa soeur est blessée. Que pouvait bien penser les rares personnes au courant ? Ce n’est pas une attitude respectable.

Elle se met à pleurer. C’était prévisible. Hanjae tente tant bien que mal de retenir les siennes. En vain. Il manque même de s’étouffer avec sa propre fumée de cigarette. Il pose d’ailleurs cette dernière dans le cendrier en se raclant la gorge. Il vient s’asseoir sur la table basse, poussant les quelques magazines et objets sur le passage de son fessier, faisant tomber la télécommande par terre, ne lui accordant qu’un bref regard.  Il voudrait la prendre dans ses bras, mais c’est une perspective qu’il a du mal à envisager ; il se sent assez malvenu pour faire une telle chose. Pourtant, il ne sait pas quoi faire d’autre. Il la blottit contre lui, posant sa main sur le haut de sa tête.

— Je suis désolé. Je n’ai aucune excuse… Je ne pouvais simplement plus le supporter. Je ne pouvais pas supporter un deuxième beau-père alors que je ne me souviens pas de mon propre père. Je sais que j’aurais dû revenir, mais je ne savais pas comment m’y prendre. J’ai été totalement égoïste.

Il s’arrête. « Elle ne m’a jamais aimé de toute façon », aurait-il voulu dire. Pourtant, il sait que c’est probablement le cas de Mee Joo et Jae Sun aussi. Il ne veut pas jouer les chiens battus dans cette situation, même s’il est celui qui en a souffert le plus longtemps, étant l’aîné de cette fratrie. Bien qu’on ne puisse pas dire qu’il se soit comporté comme tel. Hanjae a vraiment envie de se rattraper avec sa soeur, mais il sait que ça ne se ferait pas comme ça, que ça ne se fera peut-être jamais.

— Je ne savais même pas comment il s’appelait jusqu’à aujourd’hui… Je ne pourrais jamais réparer cette absence. Je ne le pourrais pas pour lui, et je le pourrais moins pour toi.

Il marque une pause. Avant de s’écarter de sa soeur, les mains posées sur ses épaules et de déclarer :

— Tu peux venir ici, avec Jae Sun. C’est chez toi aussi.

Vivre dans une famille qui a largement les moyens ne vous prépare pas à affronter la dureté de la vie, celle que doit affronter des milliers de personnes au quotidien et que Mee Joo ne connaît clairement pas. Même en vivant avec Dong Chul, même en ayant son propre appartement, elle ne sait pas ce que c’est que de devoir se débrouiller seule. Sa mère, bien qu’elle ne s’occupait pas de ses enfants, savait au moins leur offrir assez de confort grâce à sa richesse. Mais l’argent n’achète pas l’amour, et jamais elle n’a aimé sa mère comme elle l’aurait dû… Puis, elle est partie vivre avec les Choi et plus précisément chez son futur fiancé, où là également elle ne manque de rien, cette famille étant tout aussi riche que la sienne. Au final, elle ne connaît pas les difficultés d’une vie sans argent et sans le confort ainsi que le luxe qu’apporte ce dernier. C’est en voyant cet appartement et en entendant les paroles de son frère que l’adolescente le réalise d’autant plus. Un petit appartement et un colocataire. Une vie si différente.

Rapidement, plus qu’elle ne l’aurait cru, la lycéenne vide son sac et laisse les larmes rouler sur ses joues, libérant les monstres qui avaient pris possession d’elle. La peur et la colère se mêlent au goût salé de ses larmes qui viennent maquiller son visage. Comment aurait-elle pu se retenir plus longtemps face à Hanjae ? C’est lui sa plus grand souffrance. Sa première réelle peine. Être rejetée de sa mère n’était rien tant qu’elle avait l’amour de son frère. Lorsqu’il est parti, le père de Mee Joo, et donc beau-père d’Hanjae, n’a pas tardé à s’en allé bien qu’elle s’était accroché à lui de toutes ses forces. A croire qu’elle possédait une étrange malédiction : faire fuir tous les hommes entrant dans sa vie. Ce qui était évidemment faux ! Elle était seonchul et ne pouvait donc pas accuser les yoghwi pour les souffrances de son existence. C’était elle le problème, du moins c’est ce qu’elle avait fini par penser. Comment penser autrement ?

Finalement, il s’approche d’elle en poussant plusieurs affaires de sur la table, posant une main sur le haut de sa tête, l’approchant tout près de lui. Mee Joo n’irait pas jusqu’à affirmer que sa peine s’est envolée à ce moment précis. On ne peut pas balayer plusieurs années d’une main posée sur le crâne. Mais ce simple geste, celui de se blottir contre lui avec le visage baigné de larmes, signifiait déjà beaucoup. Egoïste. C’est bel et bien le comportement qu’il avait eut et qui a causé tant de peine à la jeune fille pendant des années. Alors même qu’il lui semblait devoir porter le monde à bout de bras. Car c’est ce que Jae Sun était devenu : tout son monde. D’autres paroles passent ses lèvres concernant son jeune frère et elle, et alors qu’il s’écarte tout en laissant ses mains sur ses épaules, Mee Joo remarque que ses larmes ont cessé de couler. Hanjae, kleenex de l’année.

« Merci Hanjae. Mais… C’est chez toi. Comme j’ai aussi mon chez moi, maintenant. Et je ne pense pas que j’aurai ma place ici. » Comme elle ne pensait plus avoir sa place nulle part depuis un moment. Mais ça c’était encore un autre sujet. Pour l’heure, elle tentait de contrôler les soubresauts involontaire de sa poitrine et de chasser les larmes qui venaient de former des sillons dans ses joues rebondies. Un sourire tira ses lèvres à l’idée que Jae Sun vienne ici et rencontre son grand frère. A l’idée que quelqu’un de sa famille, autre qu’elle-même, puisse lui offrir tout l’amour du monde, tel qu’il le mérite. « Jae Sun viendra, je le ramènerai. Tu pourras le rencontrer et passer du temps avec lui. C’est un petit garçon adorable et très curieux. Il est… Il est si parfait ! » Un rire passa ses lèvres. Elle n’était clairement pas objective lorsqu’il s’agissait de son jeune frère. Mais qui pourrait lui en vouloir ? Ce garçon lui offrait tout l’amour du monde. Il l’avait sans cesse appelé lorsqu’elle s’était trouvée à l’hôpital suite au séisme et avait fait promettre à Dong Chul de s’occuper de sa chère sœur. On ne pouvait que succomber.

Le verre entre les mains, elle bu une nouvelle gorgée, ne repoussant toujours pas les mains de son frère sur ses épaules. Ce contact était agréable, bien que moins fort qu’elle l’aurait espéré. Son cœur était encore caché par une masse de glace qu’elle avait pris des années à construire, et si Dong Chul avait réussit à s’y percer une entrée, rien n’était aussi sûr pour Hanjae. « Et puis… J’ai mon chez moi, maintenant. C’est… une longue histoire. » La jeune fille ne savait pas vraiment comment aborder le sujet, mais elle devait bien lui dire la vérité. Il méritait de savoir que leur chère mère à laissé ses deux derniers enfants à la charge de quasi inconnus qui, aussi bien intentionnés qu’ils étaient, ne pensaient qu’à trouver un bon parti à leur fils et futur héritier. « Je suis fiancée. Notre mère a trouvé une famille qui cherchait un bon parti et voulait bien d’un mariage arrangé. A ma majorité, je devrai donc épouser le fils héritier de la famille Choi. » La brune haussa les épaules pour ponctuer ses paroles, déjà lasse de la situation. Elle, qui clamait depuis des années qu’elle ne voudrait jamais épouser un homme, parce qu’elle sait trop bien comment se termine chaque mariage. Grâce à sa génitrice, même si elle n’est pas le meilleur exemple.

Quand il la prend dans ses bras, la cadette se réfugie dans ses bras. Ca lui brise autant le coeur que ça ne le réconforte. Il finisse par se séparer, et Hanjae ne tarde pas à remarquer que sa soeur lui a carrément morvé dessus. Il ouvre la bouche, s’apprêtant à dire quelque chose, mais aucun son ne sort de sa bouche. Il fait la moue, jusqu’à qu’elle reprenne la parole. Paroles qui attriste beaucoup l’étudiant en droit. C’était évident qu’elle ne pouvait pas renouer avec lui comme ça, pour autant… il espérait qu’elle saisirait cette invitation.

— Ne dis pas ça… Je sais que je n’ai aucune légitimité à te dire ça, mais ici, tu peux venir quand tu veux.

La vérité est qu’Hanjae n’a jamais voulu rejeter sa soeur ; c’est sa mère dont il a toujours voulu s’éloigner, mais être loin de sa soeur, et de son frère l’a toujours profondément attristé. Ce sentiment s’en retrouve exacerbé quand elle lui dit qu’elle n’aura jamais ça place ici. Elle semble si seule. Evidemment, comment pouvait-il en être autrement ? Le jeune homme attrape la boite à mouchoir qui est sur la table basse, un peu plus en retrait derrière lui et la tend à sa soeur, pour qu’elle se mouche un peu éventuellement, qu’elle essuie ses larmes. Il ne voulait pas remplir ce rôle de mouchoir à nouveau, peu importe à quel point il aime sa soeur.

Elle se met à rire quand elle parle de son petit frère. Les enfants n’est pas véritablement le fort du jeune homme, en l’état, il en reste très peu entouré et il craint, il appréhende la future rencontre avec ce petit frère qu’il ne connaît pas.   Il sait qu’elle arrivera quoi qu’il fasse ; Mee Joon ne le laissera pas partir maintenant qu’elle l’a retrouvé et lui se fait violence pour ne pas partir en courant. Il faut qu’il soit fort. Il ne veut pas rester dans cette lâcheté qui le caractérise tant.
Mais en soit, ça le soulage de la voir rire, peut-être qu’il était la seule personne à l’avoir sauvée, malgré son jeune âge. Mais lui aussi devait terriblement souffrir de l’absence de leur mère. Elle avait raison ; il n’avait pas mérité ça. Mais lui et Mee Joo non plus. Ca avait été plus facile pour lui de fuir dans la mesure où il n’était pas né, il n’était pas un être tangible.

L’annonce de Mee Joo interpelle le jeune homme et il manque de s’étouffer avec son eau. Alors qu’il repose le verre délicatement à côté de lui sur la table basse, il la questionne, l’air inquiet :

— Comment ça ? Et ça te va comme ça ? Tu vas la laisser faire sans rien dire ?

Bien qu’il soit parti pendant toutes ses années, il est inquiet pour sa soeur, inquiet que sa soeur se soit retrouvée autant sous le joug de sa mère, au point d’être mariée aussi jeune. Mariée avant lui, même. Qu’allait-il advenir d’elle ? La voix d’Hanjae s’était montré un peu agressive, plus qu’il ne l’aurait souhaité à vrai dire. Mais il aime Mee Joo, et malgré son absence évidente, il ne veut que son bien.

Le jeune homme finit par se lever, passant la main sur son visage, cachant difficilement à quel point il est embêté par la situation. Il se place devant la baie vitrée, qui donne une certaine vue de Jeju, loin d’être la plus belle de l’île, mais loin d’être terrible. Il soupire avant de s’excuser :

— Désolé, je suis mal placé pour te parler comme ça…

Mais il ne peut pas s'en empêcher pour autant. De nouveau, sa main vient couvrir son visage alors qu’il comprend l’ampleur des dégâts que son absence a laissé. Serait-il advenu la même chose pour lui s’il était resté ? Peut-être pas. Qui sait depuis combien de temps celle-ci est fiancé alors que lui ne l’a jamais été, que la question n’a pas été soulevée.

— Je n’aurais jamais dû partir, souffle-t-il, d’une voix quasiment inaudible. Puis un peu plus fort, il ajoute : Est-ce qu’il te plait ? Ne te force pas Mee Joo, par pitié. Je sais que j’ai été un terrible grand frère, mais ça, je ne le laisserais pas arriver si ce n’est pas ce que tu veux.

Hanjae est prêt à tout pour protéger sa soeur, et il a tant de regret que sa lâcheté semble s’estomper. Et si jamais elle était consentante, cela n’était-il prématuré ? L’aîné essaye de se montrer bienveillant, mais il ne peut pas s’empêcher d’être inquiet.

Même si elle était la bienvenue chez son frère, Mee Joo ne savait pas si elle se sentirait réellement à sa place entre ses murs. Comment réussir à vivre à nouveau avec quelqu’un qui a manqué depuis tant d’années ? Son absence a laissé une trace indélébile dans le cœur de l’adolescente. Quelque chose ne serait plus jamais comme avant et elle le savait bien. Cependant, elle chérissait cette simple proposition en se disant qu’il était prêt à faire des efforts pour reconstruire ce lien brisé entre eux et, peut-être qu’en prenant sur elle, Mee Joo serait capable des même efforts. La brune changea rapidement de sujet, parlant d’abord de son frère puis de son fiancé. Sa nouvelle situation était ce qu’elle avait toujours refusé, mais aucun autre choix ne s’offrait à elle pour le moment. Du moins aucun autre choix ne s’était offert à elle jusqu’à présent. Maintenant que son grand frère était de retour dans sa vie alors peut-être que les choses seraient différentes. Peut-être qu’elle pouvait quitter les Choi au profit de Hanjae. Mais peu importe combien elle refusait l’idée d’épouser quelqu’un, elle était tombée amoureuse de Dong Chul et peut-être que, finalement, ce mariage n’était pas une si mauvaise chose.

Sa réaction lui offrit un doux pincement au cœur. Finalement il s’inquiétait pour elle. Hanjae n’était pas aussi égoïste qu’elle l’avait imaginé durant toutes ces années. « Bien sûr que non ! Je déteste cette situation ! Mais… avais-je réellement un autre choix ? » La lycéenne n’attend pas de réponse à sa question. Elle savait que si elle avait refusé cette proposition, son frère serait alors parti avec sa mère et elle n’aurait pas eut d’autre choix que de rester sur cette île, parfaitement seule. Son don ressemblait davantage à une malédiction dans ces circonstances. Alors elle avait laissé faire, sachant qu’il lui était préférable de garder Jae Sun auprès d’elle plutôt que de le laisser sans aller loin avec une mère qui ne l’avait jamais aimé. Il était trop petit pour s’en rendre compte, mais Hanjae et Mee Joo le savaient. Ils connaissaient bien leur mère et avec les années ils n’espéraient plus rien d’elle. Mais pour le plus jeune, c’était différent. Sa grande sœur tenait absolument à le protéger de tout et du monde entier. C’était la mission qu’elle s’était donné à peine avait-il vu le jour sur cette terre.

Hanjae se lève, passant une main sur son faciès avant d’aller se poster devant la baie vitrée de son appartement. « Ne t’excuse pas… » Aussi étrange que cela puisse être, cette réaction réchauffait le cœur de la jeune fille, montrant qu’il tenait bien plus à elle qu’elle l’avait imaginé. Maintenant que les choses étaient dîtes elle comprenait la raison de son départ. Elle ne lui donnait pas raison pour autant, mais au moins elle comprenait. D’autre mots passaient ses lèvres, d’abord des soupirs puis sur un ton plus clair. La jeune fille soupir à son tour, buvant une gorgée ou deux d’eau avant de le rejoindre devant la vue de Jeju. C’est plus compliqué que ce qu’il pouvait pensé. A la fois concernant la situation en elle-même, et à la fois en ce qui pouvait concerner le cœur de la jeune fille. « Ai-je le choix ? » Mee Joo se répétait vainement qu’elle ne faisait pas ça pour elle mais pour Jae Sun. Qu’au fond, il était le seul à compter et qu’elle serait capable de tout pour son bonheur. Quitte à mettre toute son existence entre parenthèses. Elle ne reproduirait pas les action de son aîné.

Les bras croisés sur sa poitrine, elle essaya de mettre un peut d’ordre dans son esprit et alors une image s’imposa dans son esprit, comme un film passant sous son regard. « Tu te souviens lorsque nous étions enfants ? » Un bref sourire nostalgique tira les lèvres de la plus jeune et elle se laissa sombrer dans ses souvenirs. Ceux d’elle et son frère lorsqu’ils étaient encore innocents et heureux, lorsqu’ils commençaient seulement à comprendre que leur mère ne les aimaient pas et que jamais elle n’aurait le comportement que toute mère de famille doit avoir. Mee Joo se souvenait de la première fois où elle a réalisé que leur famille ne fonctionnait pas correctement. Lorsqu’elle a découvert le ver de la pomme pourrie qu’était leur famille. « Tu m’avais offert une bague faite à partir d’une pâquerette. Mais je n’en voulais pas. Parce que je refusais qu’un homme m’offre une bague. Parce que je ne voulais pas être comme maman qui a accepté la bague de papa et qui, finalement, ne l’aimais pas. » Un autre sourire tira ses lèvres. Aussi loin qu’elle se souvienne, Mee Joo ne voulait pas reproduire le comportement de sa chère mère. Et voilà qu’elle était fiancée, bientôt prête à épouser un héritier qui ne manquerait jamais d’argent. Quelle ironie !

Un long soupir franchit ses lèvres avant qu’elle ne reprenne la parole. « Je n’ai jamais voulu me marier. Mais si je refuse alors les Choi ne s’occuperont plus de nous. Et jamais je n’accepterai que Jae Sun parte vivre avec notre mère. Tu sais comment elle est mieux que n’importe qui d’autre… Jamais il ne serait heureux. » Mee Joo espérait au moins qu’il connaissait le bonheur d’être choyé et aimé par une grande sœur. Mais elle ne se rendait pas compte combien c’était difficile pour une fille de son âge de porter une telle responsabilité sur ses épaules. Elle n’était qu’une adolescente, pas la mère d’un enfant de quatre ans, et pourtant la situation était tout comme. « J’aime Dong Chul. » Et ce malgré tout le mal qu’il lui avait fait. Mais honnêtement, si elle n’était pas sa fiancée, peut-être qu’elle ne lui aurait jamais pardonné toutes les horreurs qu’il lui a fait subir. « Même s’il est loin d’être le meilleur des fiancé… » Et c’était absolument vrai. Dong Chul n’était pas la personne pouvant lui apporter le bonheur. Mais elle aimait croire que, peut-être, ça pouvait être le cas. Un jour.

Plus la conversation avance, et plus les remords remontent à la surface. Il a merdé, c’est sûr. Il avait été si égoïste. Les choses ne seraient jamais comme avant, ça, il l’avait bien compris. Rien ne pourrait effacer ses erreurs, seul le temps ferait son travail. Il ne pouvait pas demander mieux. C’était déjà le meilleur de ce qu’il pouvait obtenir. Il sait qu’au fond, Hanjae ne mérite pas son pardon. Il a été horrible avec elle. Plus horrible qu’un frère ne pouvait l’être. A cause de lui, elle avait été obligée d’accepter un mariage arrangé, non, pas un mariage d’amour, mais un bien arrangé, un échange d’argent entre deux familles. Ca rend Hanjae hors de lui, mais il essaie de ne pas le montrer. C’est de sa faute après tout. Il avait forcé Mee Joo à en arriver là. Il se remet à pleurer, faisant toujours face à la vitre. Seuls ses reniflements sont audibles.

Avait-elle le choix ? Bien sûr que non. Hanjae ne lui avait pas laissé. Sa mère ne lui avait pas laissé. Jaesun, malgré lui, ne lui avait pas laissé. Il ne remarque pas qu’elle vient se joindre à lui alors qu’il se met à pleurer davantage. Mee Joo avait fait bien plus de sacrifices que lui. Tous les efforts qu’il n’avait pas voulu faire, c’était elle qui l’avait payé.

Tout ça pour mener une existence solitaire, sans famille, avec peu d’amis. Est-ce que c’était ça, de vivre ? Être seul ?

— Oui. Evidemment.

Il renifle encore mais tente surtout d’essuyer ses larmes et de se calmer. Il jette un regard timide à sa soeur, qui esquisse un sourire. Elle lui raconte cette fois où il avait confectionné une bague en utilisant des pâquerettes dans le jardin. A écouter sa soeur, Hanjae rit un peu, ravalant en même temps quelques larmes. Il acquiesce, avant d’ajouter :

— J’étais tellement vexé…

Elle soupire avant de reprendre la parole. Elle n’avait jamais voulu se marier, disait-elle. Mais elle n’avait pas le choix, évidemment. Surtout que Mee Joo n’est pas comme les autres. Elle ne peut pas quitter Jeju, même si elle le voulait. Elle est enchaînée, pour toujours. Et lui il est parti, il l’a laissé à son triste sort, et avait même quitté le pays pendant une année. Et pourtant, malgré tout, elle semble aimé son fiancé. L’aimait-elle vraiment ou était-ce ce dont elle essayait de se persuader pour que la réalité soit plus facile à accepter pour elle ? Elle reste une adolescente ; Hanjae aurait davantage les épaules pour assumer tout ça, à la différence qu’il ne s’est jamais donné la peine de le faire.

— Est-ce que tu l’aimes vraiment, ou est-ce par dépit ?  

Sa voix se fait douce, et timidement, il saisit les doigts de sa soeur, l’air de dire « je suis là maintenant ». Il laisse un silence planer dans la pièce, avant de dire :

— Tu as le choix maintenant. Pense à toi. A ce que tu veux faire, toi. Sans penser à Jaesun. On pourrait trouver une solution ensemble. Je te le promets.

Il adresse un sourire triste à sa soeur avant de lâcher sa main.

Les choses étaient dîtes. Ce qu’ils avaient gardé en suspens venait de s’envoler et soudain, Mee Joo avait le cœur plus léger. Cela ne changeait pas sa situation pour autant, mais en parler avait réussit à calmer les plus grandes de ses angoisses. A présent, elle ne se sentait plus seule. Son frère était à nouveau là pour l’aider et la protéger. Elle pouvait se reposer sur lui. Cela ne se ferait pas en une journée, il leur faudrait du temps pour reconstruire leur relation, mais cette conversation leur avait au moins permis de faire un grand pas l’un vers l’autre. Bien sûr, Mee Joo avait toujours Dong Chul et Na Bae. Tae Ah, également. Même si elle ignorait encore que ce serait la seule à rester. Il faut croire qu’être abandonnée est l’histoire de toute sa vie. C’est à se demander si les dieux ne l’avaient pas maudite au lieu de la bénir. Pour que toutes les personnes de son entourage la quittent et la délaisse une à une. Mais non. Ce n’était pas une malédiction. C’était simplement l’adolescente qui ne savait pas s’entourer, ou bien qui ne semblait pas assez intéressante pour garder cet entourage. Ce sont les mauvaises pensées qui finissaient toujours par tourner dans son esprit.

Il renifla, ce qu’elle pouvait simplement entendre alors que son regard était perdu au loin dans le vide. D’une certaine manière elle lui laissa son intimité en évitant son regard. Mee Joo se rappela alors cette bague offerte alors qu’ils n’étaient que des enfants. Un rire passa ses lèvres, et celui de la jeune fille fit bientôt écho au sien face à sa remarque. Bien sûr qu’il avait été vexé ! Mais elle continua ses explications concernant le mariage. Non, jamais elle n’avait voulu devenir la femme de qui que ce soit. Et pourtant… Voilà qu’elle allait bientôt se nommer Madame Choi. La vie a une façon bien à elle de jouer avec vous et de rire de votre personne. Mais cela ne provoque jamais votre hilarité ! On pourrait nommer ça le destin, la fatalité, ou bien d’autres choses encore. Alors la question de son frère la surprit. La voix de Hanjae était douce. Le cœur de Mee Joo s’en trouva immédiatement bercé et apaisé. « Je… » Quoi ? Elle resta un court instant silencieuse, à ne pas savoir quoi lui répondre. Elle l’a aimé. Mais l’aimait-elle toujours ? Réellement ? « Je ne sais pas… » Alors qu’elle venait d’affirmer l’aimer, voilà qu’elle semblait à nouveau perdu dans son cœur.

Un silence s’installa et, timidement, Hanjae pris les doigts de sa sœur entre les siens. Les yeux de la brune se posèrent d’abord sur ce doux contact puis remontèrent jusqu’au faciès du garçon. Il était là. Aussi silencieusement que cela puisse paraitre, ce geste voulait dire beaucoup. Il la tenait, comme pour la guider et lui servir d’appui. Il était là. « Ce serait merveilleux. » Les yeux de l’adolescente brillaient. Hanjae étaient celui qui l’avait fait le plus souffrir en la quittant, en l’abandonnant à son sort entre les mains de leur mère indigne. Et pourtant, en cet instant, il semblait davantage être son sauveur. « Si… Si tu prenais Jae Sun sous ton aile. Si je travaillais et qu’on vivait tous ensemble… Alors peut-être qu’on pourrait à nouveau former une véritable famille. » Mee Joo n’aurait à épouser personne et elle pourrait enfin vivre sa propre vie, sans avoir le monde à porter sur ses épaules. Ils pourraient vivre tous les trois ensembles sans l’influence néfaste de leur mère. Ils pourraient former un véritable foyer. Cette idée enchantait la jeune femme qui ne pouvait pas cacher le bonheur sur ses traits.

Mais cette joie fut bien rapidement remplacée par une certaine crainte. Toujours sa main dans celle de Hanjae, la plus jeune grimaçait car cela voulait dire qu’elle devait rompre ses fiançailles. Ou au moins trouver un moyen de fuir les Choi. Ce qui semblait peut probable dans l’immédiat. Pas tant que leur mère avait un peu d’emprise et que Jae Sun vivait chez les Choi. « Mais comment faire ? Je ne peux pas rompre de moi-même les fiançailles. Et Dong Chul… » Elle perdrait Dong Chul et même si elle ignorait encore ses véritables sentiments pour lui, elle ne se sentait pas prête à la perdre. Leur relation avait été compliquée, tumultueuse ; mais ils avaient traversé tant d’épreuves ensembles. Après le séisme il était venu la voir à l’hôpital, puis il l’avait cherchée dans toute la ville entière juste pour lui ramener son frère. Il l’avait d’abord utilisée, mais ensuite il en était tombé amoureux. Du moins c’est ce qu’il laissait paraître. « Peut-être que je n’en suis pas profondément amoureuse, mais je tiens à lui. Véritablement. Je ne peux pas l’abandonner. J’en aurais le cœur brisé. » Encore une fois. Il l’avait déjà brisé l’été dernier. Et à cet instant, Mee Joo ignorait qu’il allait recommencer. Que ce sont les Choi qui allaient rompre les fiançailles pour retourner à Séoul. Et que l’adolescente allait à nouveau se trouver seule et abandonnée.

Sa main se serra dans celle de son grand-frère et elle se hissa sur la pointe des pieds pour lui poser un baiser sur la joue. « Merci. Merci d’être là et de m’aider. » Merci de lui permettre de quitter cette vie qu’elle n’a pas choisie au profit d’une autre qu’elle aura choisie. La main de Mee Joo lâche enfin celle d’Hanjae et elle s’avance près de l’entrée pour récupérer son manteau. « On va trouver une solution. A deux on est plus fort. » Un sourire tira ses lèvres. Tout n’était pas oublié, mais elle lui pardonnait. L’adolescente ne lui tenait plus rigueur de son absence, de son abandon, ni même de tout le reste. Ils allaient tout recommencer, ensemble. Sa main se glissa dans son sac pour récupérer un vieux morceau de papier sur lequel elle nota son numéro de téléphone avant de le glisser dans la paume du plus âgé. « Appelle moi. Retrouvons-nous bientôt et tu rencontreras Jae Sun. On sera une famille. » Et même si c’était la chose la plus simple au monde, cela suffisait à rendre la jeune fille la plus heureuse possible. Elle agita sa main en prenant la direction de la sortie. Ils étaient réconciliés et la journée ne pouvait pas être plus merveilleuse.