19h30. La fin de ton service. Les lumières artificielles qui commencent à prendre doucement le relais, et les gens qui se pressent de rentrer chez eux avant la tombée de la nuit. La souffle las, la démarche nonchalante, tu t'encombres dans les rues, ton regard se perdant dans la foule. Encore une longue journée exténuante que se termine comme toutes les autres. Le train-train de la vie t'épuise. La routine, bercée par les études et le travail te donne l'impression de virer fou. Tes joues ont perdu leurs couleurs, et tes cernes témoignent de ton manque de sommeil. Plus rien qu'une masse dépourvue de vie. Alors tu décides de rebrousser ton chemin. Profiter de la fraicheur de la ville le temps d'un instant. Oublier les aléas de la vie en marchant. De toute façon, t'as pas envie de rentrer chez toi maintenant. Le regard vide et les pensées qui s'entremêlent et qui fusent, tu laisses tes jambes te mener un peu plus loin. La nuit commence déjà à embrasser la belle Jeju, et bientôt, il n'y a plus que les étoiles étincelantes pour veiller sur toi, ainsi que deux passants qui tracent leur chemin.

T'es pas un amoureux de la nuit, tu es plutôt du genre à avoir peur de l'obscurité. À la craindre, et à la fuir comme la peste, pour ne pas la laisser s'accaparer de ton imagination. Mais cette fois-ci, étrangement, ça te repose, ça te soulage. Tu te noies dedans sans rien craindre. Tout simplement parce que tu n'as plus rien à craindre. Plus d'autres rêves à accomplir, plus d'autres désirs auxquels t'accrocher. C'est peut-être ça le plus déroutant, finalement. Ne plus espérer, ne plus avoir d'ambition, et se laisser envoler comme une plume dans une direction inconnue. Tu laisses donc trainer tes pieds, n'importe où, te noyant dans la beauté nocturne de la ville. Jeju, que tu souhaites quitter, parce que la douleur des souvenirs te pèse encore sur le coeur, mais Jeju que tu aimes plus que tout, parce que la rancune finit toujours par s'estomper, ne laissant derrière elle qu'un arrière-goût amer. Celui qui te tient éveillé toutes les nuits, celui qui fait durer tes craintes et tes insomnies.

23h30. Plus que toi et les ruelles illuminées par les lampadaires. Le moment de sérénité s'est vite écoulé, et c'est en poussant un long soupir que tu décides finalement de changer de direction pour ton petit studio, une appréhension s'emparant déjà de toi. Celle de retrouver ta solitude. Parce que tu as beau être quelqu'un de réservé, t'aimes pas pour autant te laisser bouffer par l'abandon, celui que tu ne connais que trop bien dorénavant. Tes pieds que tu ralentis autant que possible, afin de profiter de ces dernières secondes de paisibliité, et tes paupières qui se plissent, à la vue d'une ombre s'approcher, faisant grandir en toi une certaine anxiété. Les ruelles sont presque désertes, et tu doutes pouvoir te confronter tout seul à un quelconque danger. Et puis plus les secondes passent, plus l'ombre s'approche. Plus ses traits deviennent clairs, plus tes mains se font moites. Pas encore suffisamment près, mais il l'est assez pour que tu puisses l'identifier. Assez pour que les souvenirs refassent surface. Assez pour que tu te mettes dans tous tes états. Pour que tes jambes tremblent, et que tes yeux s'embuent de larmes. Le hasard, ou une malédiction. Et tu as beau ne pas y croire, cette fois-ci, tu pencherais peut-être pour la deuxième option.