Stay weird.

Des trajets en bus. Matin et soir. Une routine que des milliards d'être humains partagent sur Terre. Un moment où chacun préfère être dans sa bulle, non dérangé par des inconnus. En général. Depuis quelques mois, Daeshim n'est pas bien dans sa peau. Pas vraiment déprimé, mais juste mal. Il ressort d'une relation difficile, à l'issue de laquelle il a failli tuer sa petite amie. Sa patience a clairement été mise à mal, alors que le jeune homme est peut-être la personne la plus douce. Son état d'esprit ne lui convient pas. Lui qui est si souriant d'habitude, qui fait l'andouille à la moindre occasion, il est plus récurrent de l'entendre soupirer en ce moment. Sa main se pose sur son coeur. Son coeur. Un soupir. C'est à cause de ça que ça a tourné au vinaigre. S'il n'a pas craqué, c'est uniquement grâce à son frère et à son neveu. Ses chiens aussi, qui le couvre d'amour, quoi qu'il arrive. Tous les deux, ils ont acheté une maison dans un village de l'île, qui leur permet d'avoir un grand espace vert pour Loki et Freya, mais aussi ses deux chats. Daeshim, véritable amoureux des animaux. Pas besoin de mots. Pas de mensonges. Pas de manipulation.

Ses trajets en bus lui paraissent toujours aussi monotone. Jusqu'à un certain point. Jusqu'à qu'elle monte dans le bus. Ils ont leur rituel maintenant. Ca fait quelques semaines qu'ils font ça, et pourtant, ils ne se connaissent pas. Elle monte, cherche sa présence avant de sourire. Daeshim répond avec le même sourire. Ce sont aussi ces moments qui lui font oublier la dureté des derniers moments dans sa vie. Cependant, ça ne peut pas continuer ainsi, n'est-ce pas ?

La jeune femme du bus ne peut pas rester éternellement la jeune femme du bus, non ? Celle qui fait des grimaces ?
Non.
Certainement pas. Daeshim n'en a pas envie en tout cas. Il ne veut pas regretter de ne jamais avoir fait la connaissance de cette fille, qui a l'air extraordinairement drôle.

Après une grimace adressée à son amie, Daeshim se lève, tout en ramassant son sac à dos à ses pieds et se dirige vers la jeune femme. Il s'asseoit à côté d'elle, tout de même un peu intimidé mais pas moins téméraire.

— Salut, dit-il en lui adressant un légère courbette de la tête.

Une telle marque de politesse semble superflue au vue de la relation qu'ils ont créée, mais le jeune homme n'a pas pu s'en empêcher. Il poursuit sur sa lancée :

— Je m'appelle Seon Daeshim. Enchanté.

Ce à quoi il ajoute un nouveau sourire, à deux doigts de rire à vrai dire. C'était difficile pour eux de rester sérieux dans ce bus.

Stay weird.

tout le monde a cette image en tête, des transports en commun où chaque passager est comme une âme fatiguée et muette. on s'y méfie de son voisin. on l'y regarde avec dédain. on s'y met dans sa bulle parce que l'on considère autrui comme d'un intérêt nul. alors, tous adoptent les mêmes stratagèmes. écouteurs visés dans les oreilles, technique du sac posé sur le siège vide pour que personne n'empiète sur son espace vital délimité... un véritable jeu du "ne me parle pas, je ne te parle pas", du "ne me touche pas, on ne se connaît pas". un suicide de la bonne humeur et de la sociabilité, chaque matinée et chaque soirée. mais, ça, ça a très peu duré.

les premiers jours, dain ne faisait attention à aucun passager. les yeux rivés sur l'écran annonçant les prochains arrêts. parce qu'elle ne les connaissait pas. d'ailleurs, avant de trouver celui qui la dépose au plus près de la boutique ou du complexe scolaire, elle s'était trompé un bon nombre de fois. puis, l'habitude la détendue et elle s'est permis ce petit rituel que tout le monde a. du moins, elle croit ? qui ne s'amuse pas à regarder rapidement, de haut en bas, chaque nouvelle personne entrant dans le bus ?

cela tangue du jugement à l'admiration. une coupe de cheveux. un type de vêtement. un visage en lui-même... et il y a eu ce type. celui toujours assis à l'opposé d'elle. celui toujours dans son champ de vision. celui a qui elle avait lâché une grimace parce qu'il la fixé et qui, au lieu de baisser les yeux comme elle si attendait, s'est mis à rentrer dans son jeu immature et grossier. ce type avec qui elle semble avoir sympathisé, sans même lui parler, sans même savoir qui il est. juste "ce type". celui qui à l'air cool et bon délire. celui qui a brisé cette vision ennuyante des transports en communs. celui qui lui fait commencer chacune de ses journées avec un franc sourire. une pincée d'hilarité aux rires plus ou moins contrôlés. mais, aujourd'hui, ce type cessera de n'être que "ce type".

un habituel échange malicieux, aussi impoli que disgracieux, en entrant et la jeune femme s'installe tranquillement à sa place. ce qu'elle n'avait pas vu venir, c'est la silhouette du garçon se rapprochant pour la première fois. elle avait le nez baissé sur son écran lorsqu'une salutation l'étonne. relevant le menton, elle tombe face à ce fameux type qu'elle n'avait, toujours, vu que de loin. c'est un peu hébétée qu'elle lui répondit, inclinant également la tête pour être polie. c'est étrange. ils font moins les fiers, à se tenir ainsi juste à côté. pourtant, ils ne devraient pas se sentir intimidés. depuis quand deux grands enfants se faisant des pieds-de-nez dans un bus c'est effrayant ? daeshim, hm ? répète-t-elle comme pour graver ce nom en mémoire avant de rire bêtement. c'est quand même plus classe et plus court que "le gars du bus qui m'fait marrer". un grand sourire aux lèvres, elle lui tend son poing. au point où ils en sont, ils peuvent bien se faire des checks en guise de "ravie de faire ta connaissance". moi c'est im da in. tu peux m’appeler idi si tu veux. ou dada. mais, c'est clairement moche. on dirait les mômes quand ils parlent d'un poney.

Stay weird.

Daeshim fait partie des gens qui ont leur casque vissé sur la tête, la musique à fond. Mais quand Dain est là, c’est toujours le festival de grimaces. Les trajets en bus sont toujours très drôles avec elle, et c’est vrai que le peu de fois où elle n’était pas là, l’ambiance était sacrément triste. De manière surprenante, elle lui manquait. Une inconnue lui manquait. On peut dire que ce n’était pas commun. Ce qui n’est pas commun non plus, c’est la manière dont Daeshim pouvait porter des lunettes de soleil, qu’il vente ou qu’il neige, symptôme de sa malédiction, des yeux sensibles, trop sensibles, à la lumière du soleil, tel un vampire. C’est peut-être pour ça qu’il a naturellement la peau aussi pâle. Même si sa malédiction ne date que de ses seize ans, un truc dans le genre. Qu’est-ce qu’il avait pu être con. Mais il a appris à vivre avec. Pas le choix de toute façon, n’est-ce pas ?

Quand elle entend sa voix, la jeune femme semble surprise. Daeshim, lui, s’étonne de son étonnement. Il rigole un peu gêné :

— Je t’ai fait peur, désolé !

Elle incline légèrement la tête en signe de politesse. Carte SD l’imite, par politesse également, mais il sait bien que les formalités vont vite tomber à l’eau. La jeune femme semble un peu plus impressionnée que lui. C’est donc lui qui mène la discussion, pour le moment. Après s’être présenté, celle-ci répète son prénom, sûrement pour l’enregistrer et il acquiesce. Elle se met à rire.

— C’est vrai que c’est plus pratique.

Il rit un peu. Elle lui tend son poing, il l’observe une demi-seconde et comprend rapidement qu’elle veut lui faire un check. Il vient taper dedans avec le sien, sans que son sourire ne le quitte.

— Idi c’est bien. Tu peux m’appeler carte SD aussi, c’est clairement pas le feu comme surnom non plus. Sinon classique, Shimshim, Daedae, Shimdae, de toute façon j’ai pas de prénom je crois.

Il rit à son tour. C’est vrai. Il n’y a que ses parents peut-être qui l’appelent par son prénom, et encore. Quoi que, ses collègues de travail l’appellent par son nom. Monsieur Seon par-ci, Monsieur Seon par là. Ca n’en finit plus. Et dieu sait qu’il n’aime pas ça. Au fond, le brun a encore dix ans d’âge mental. Peut-être moins en fait.

— Bon, comment vas-tu chère Idi ?

Stay weird.

tout comme le laissait paraître de loin ses sourires et grimaces, daeshim est quelqu'un de sympathique et doux. tellement doux qu'il s'excuse d'avoir fait sursauter la blonde. cela la fait sourire alors qu'elle fait comprendre d'un vague geste de la main qu'il n'y a rien de mal. c'est rien, t'en fais pas ! j'm'y attendais juste pas. faut dire qu'avoir soudainement une grosse tête à lunette de soleil en face de moi alors qu'il n'y a jamais personne d'habitude... ça surprend.

dain est rassurée de voir que le feeling passe autant que lorsqu'ils sont chacun dans un coin du bus. elle avait déjà songé à venir vers lui, mais, elle se disait : et si ça ruinait tout ? alors, elle s'était contentée de leurs jeux puérils qui font hausser les regards et râler les petits vieux parce que "ah, c'est ça la jeunesse de nos jours ?".

lorsqu'il répond à son check, l'étudiante fait une moue satisfaite. s'il te laisse pas comme une andouille le poing tendu et qu'il tilte directement que c'est pour entamer un contact amical, c'est un bon. l'originaire de busan ne compte plus le nombre de fois où elle s'est récolté des vents parce que ses potes ne captaient pas son intention.

carte sd ? sérieusement ? elle surjoue un air blasé, mais, en vérité... elle trouve ça vachement drôle et bien trouvé. au moins ça à le mérite d'être original, on risque pas de se tromper ! je vais juste éviter daedae, ça fait dix-neuf ans ans que ça désigne mon petit frère.

son sourire ne la quitte pas. elle est vraiment contente que daeshim ait eu l’initiative de briser la glace entre eux. en peu de temps, elle sait déjà qu'entre eux l'alchimie et la conneries seront puissantes.

eh bien écoute, ça va tranquille et toi ? pour quelle destination tu prends le bus aujourd'hui ? t'es du genre a avoir des programmes chargés comme l'agenda des ministères ou alors tu es du genre à attendre que la vie passe comme moi ?

Stay weird.

Il range précautionneusement son casque dans sa housse avant de l’enfouir au fond de son sac.

— Désolée pour les lunettes mais si je les porte pas c’est un peu compliqué.

Compliqué étant ; je suis atteint d’une malédiction qui a pour conséquences que mes yeux sont très sensibles à la lumière du soleil, mais clairement, ce n’est pas une excuse valable pour le commun des mortels. Au mieux on ferait semblant de le croire, au pire on le ferait interner au motif d’être véritablement fou. Même si vraisemblablement, c’est déjà plus ou moins le cas, au vu des nombreuses grimaces qu’il vient de faire à sa comparse. Ça reste un jeu pour eux.

Da In semble rassurée ceci dit. Ce qui d’une certaine manière, le soulage aussi. Ca faisait plusieurs fois qu’il avait songé à l’approcher et pourtant, l’occasion ne s’était jamais présentée. Manquant d’assurance, le temps qu’il se décide, il fallait déjà qu’il descende du bus. Ça repoussait les choses à la fois suivante et ainsi de suite. Elle semble satisfaite de son check.

— Oui oui. Mes initiales c’est SD et vu que je travaille dans le jeu-vidéo, voilà voilà, fait-il sur un ton légèrement dépité. Alors comme ça tu as un frère ?

Ça a le don d’amuser la jeune femme. C’est déjà ça. Le sourire de la blonde ne semble pas vouloir disparaître du visage de Da In.

— Ça va, ça va. Je rentre chez moi, je viens de finir de travailler. Mais j’ai pas un emploi du temps de ministre, non. Et toi ?

Si elle ne fait rien de spécial, il compte bien lui proposer d’aller boire un petit quelque chose. Sans alcool pour lui, ceci dit : avec son coeur, il ne peut pas vraiment se le permettre. Pourtant, des fois, il aimerait, contrairement à la cigarette qui ne l’attire pas du tout. Mais ce moment leur permettrait peut-être de réfléchir aux conneries qu’ils pourraient faire ensuite.

Stay weird.

compliqué ? avoue simplement que t'as peur de perdre le charme de l'homme mystérieux en mode dark sasuke aux lunettes teintées. un rictus amusé fend ses lèvres. elle le taquine, mais, en soit, il fait tout bonnement ce qu'il veut. faut pas s'excuser pour ça. si t'aimes te la jouer men in black c'est toi qu'ça regarde. ça a un p'tit côté classe en plus. sûre que tu fais tomber les filles avec le fameux réajustement de lunettes comme dans les animes. t'sais, celui qui fait un reflet dans les verres avec un bruit de lame en arrière plan, pour faire cool. dain ? divaguer loin dans ses conneries ? à peine. en vrai, plus sérieusement... j'peux pas vraiment juger. dès que je quitte le bus, j'ai un casque sur les oreilles. comme toi, j'vais dire que c'est parce que sinon c'est "compliqué". comment expliquer aux gens que les malédictions n'existent pas que dans les légendes urbaines bonnes à faire peur aux enfants et les pousser à faire ce qu'on leur dit au risque d'être maudits ? personne n'y croit. à par les principaux concernés. et lorsque les gens y croient, ils sont pris pour de gros idiots à craindre des "superstitions à la con". superstitions à la con que la blonde aurait mieux fait de respecter. au lieu de cracher dessus comme elle l'a fait. faut croire que son sort est bien mérité. même si c'est très loin de lui plaire.

lorsque daeshim fait le lien entre son métier et son surnom, dain pouffe de rire. alors ça ! si c'est pas le destin alors qu'est-ce que c'est ? en tout cas, ça doit être vachement cool comme taff. les domaines comme ça, c'est ultra fermé. t'as du mérite d'avoir atteint ton but. j'suis encore étudiante et j'croise les doigts pour atteindre le mien aussi. le domaine artistique y'a rien de plus sélectif. elle hoche la tête à sa question. yep ! j'ai deux ans de plus qu'une tête de pioche nommée daeho. et toi ? t'as des frères et soeurs ?

ils parlent et dain ne voit pas le temps passer. ni les arrêts défilés. c'est alors avec un air dépité qu'elle répond à daeshim. et moi bah... j'viens de louper ma descente. elle se gratte la tête, embêtée, avant de soupirer et hausser les épaules. bwarf... c'était pour rentrer donc au pire, un arrêt de plus c'est pas si grave. personne ne m'attend en particulier.

Stay weird.

— Merde, je suis démasqué.

Ce n’est pas Daeshim qui va aller contrarier Da In dans ses réflexions. Elle semble amusée, après tout, et lui aussi. De toute façon, que pouvait-il dire d’autres ? Tout en plaisantant, le jeune homme triture l’un des nombreux pins accrochés à son sac. Parmi eux, on peut trouver un gudetama toujours aussi vaillant, un « love is love » clairement significatif aux couleurs de l’arc-en-ciel et un coeur dans une fiole. L’air de rien, ses pins collaient avec ce qu’il est, ce qu’il a vécu. A part peut-être pour le gudetama. Il les avait trouvés dans divers magasins, au gré des maigres sessions de shopping qu’il pouvait faire. Ca pourrait marcher, après tout, ses yeux sont vraiment très sombres, si sombres qu’on n’en discerne pas la pupille. Il lâche son sac pour porter ses mains à son visage, s’exclamant :

— Tu veux me dire si ça marche ?

Il baisse un peu ses lunettes, soulevant ses sourcils jointement, riant légèrement. Il les remonte sur son nez très rapidement ceci dit, car la lumière ne tarde pas à lui agresser la rétine, visiblement très satisfait de sa connerie. Mais quand même les sourcils très froncés, les yeux très plissés pour essayer de se protéger les yeux.

— C’était pas terrible comme idée de faire ça.

Il met ses mains sur ses yeux, comme pour les frotter, pendant quelques secondes, le temps que la douleur quitte ses yeux, alors qu’elle se met à parler. Cela ne l’empêche pas de l’écouter  attentivement. Apparemment, pour elle aussi, il y a des choses qui sont compliquées. De toute façon, tout le monde a son lot de trucs pas faciles. Pour l’instant, ils ne se connaissaient pas encore très bien, l’heure n’était peut-être pas aux confidences. Mais au moins, ils avaient une base sur laquelle ils pouvaient se comprendre, en plus de tout le reste.

— Je sais pas si j’ai du mérite, mais… j’ai fait ce que je voulais faire et je suis allée au bout. Tu étudies quoi ?

Il reste pensif un instant avant que son visage n’affiche le « bref » qu’il n’a pas prononcé. Elle répond à sa question ; elle a un frère, nommé Daeho. C’est la plus âgée.

— Pleins, si on compte aussi mes cousins qui sont comme des frères. J’ai déjà 2 grandes soeurs et un grand-frère du coup, Sangsu. On vit ensemble.

Ils discutent, ils discutent, mais ne voit pas le temps passer. Da In rate son arrêt. Daeshim regarde l’affichage du bus et se rend compte qu’il a aussi loupé son arrêt… 3 arrêts plus tôt.

— Moi aussi…

Puis il se met à rire. Ce n’est pas bien grave après tout. Ce n’est pas comme s’ils étaient sur le chemin du travail.

— Ca te dit d’aller boire quelque chose du coup ?