retrouvailles infernales.
(( tenue ))
La première chose que je fais en sortant de ma voiture, c’est de prendre une grande bouffée d’air. Ca fait déjà quelques heures que je suis arrivé sur Jeju et pourtant, cette sensation de malaise au creux de mon ventre ne m’a pas lâché. Même après avoir déposé ma collègue, après avoir fait un tour sur la plage, être allée dans les recoins de l’île qui me sont le plus chers. Mais rien. Ca ne me quitte pas, et je sais bien quelle en est la raison.

Durant le trajet, mes mains sont devenus moites, ma gorge s’est nouée. Et maintenant que je pose les yeux sur la petite boutique, et sur l’appartement juste au-dessus, je sens le stress revenir à grand pas. Les jours et nuits que j’ai passé loin de Yura m’ont fait comprendre à quel point mes sentiments étaient forts. Je n’avais de cesse de penser à elle, d’avoir envie de l’appeler, de la voir. Et pourtant, j’ai hésité à venir. Cinq mois, c’est long. Et si elle m’avait oublié? Et si je toquais à la porte et qu’un homme m’ouvrait? Et si elle ne voulait plus entendre parler de moi? Et si elle me détestait? Tant de questions, si peu de réponses.

Alors, après une longue discussion avec ma collègue, au bord de la plage - et après m’être fait un peu tapé sur les doigts - je suis montée dans ma voiture, et me voilà. Dans un état lamentable mentalement, mais au moins, je reste présentable. Enfin, pour quelqu’un qui ne m’a pas vu depuis cinq mois.

Les escaliers, je les gravis presque à reculons. Je sens mon coeur battre jusque dans ma boîte crânienne, mon t-shirt me colle, je me sens comme étouffé dans ma propre peau. J’inspire une nouvelle fois un grand coup, ferme les yeux un instant. Inspire. 1, 2, 3, 4, 5. Expire. Puis je reprends ma montée, essayant de penser à tout, sauf à la manière dont les événements peuvent tourner.

Une fois devant la porte, je me dis que j’aurais peut-être dû amener quelque chose. Des fleurs, un ours en peluche…tout sauf...rien, en fait. Je n’ai absolument rien sur moi mais tant pis. Elle va certainement me renvoyer mon cadeau à la figure de toute façon.

Sans réfléchir plus, je toque à la porte. J’entends un “J’arrive!” camouflé par le bois, et la première chose que je me dis, c’est que cette voix m’a manqué. C’est comme si on me passait du baume au coeur, même si je sais que ça ne va pas durer. J’entends ses pas s’approchait de plus en plus, mais je reste devant la porte, jusqu’à ce que celle-ci s’ouvre et dévoile la jeune femme qui hante mes pensées depuis tant de temps.

Et qu’elle est magnifique. Je remarque rapidement qu’elle a changé de couleur de cheveux, et ça ne la rend que plus belle. Je me perds un instant à l’observer, fixant son visage comme si c’était la plus belle chose qui m’est été donné de voir en cet instant, jusqu’à ce que je reprenne mes esprits. Il faut que je dise quelque chose avant qu’elle ne me pousse par la fenêtre de son appartement.

“Je sais que je suis la dernière personne que tu t’attendais à voir et pourtant me voilà.” C’est la première pensée qui m’est venu, et pas la meilleure. “Je suis désolé, Yura. Désolé.” C’est déjà un peu mieux, peut-être. “Je te dois des explications et si tu veux les entendre, je te le dirais.”

Après ça, je ne dis plus rien, car je n’ai plus rien à dire. Soit elle accepte de m’entendre, soit je rentre chez moi, la queue entre les jambes, le coeur un peu plus brisé. Mais c’est ma faute, et j’assume de l’avoir faite.  

retrouvailles infernales.
(( tenue ))
M’oublier? Trouver un autre homme? Non, apparemment, ce n’était même pas une idée qui avait traversé la tête de la jeune femme. La surprise que je lis sur son visage quand elle me reconnaît ne déchire qu’un peu plus mon coeur. Coeur que j’ai moi-même meurtris. J’ai pour habitude de ne pas vouloir vivre avec des regrets, de faire ce que mon coeur me dit. Et pourtant, je regrette de l’avoir écouté cette fois-ci. Et ça, je compte bien le lui expliquer.

“Oui, c’est bien moi…” On dirait qu’elle vient de voir un fantôme. Son corps tremble, ses yeux se remplissent lentement de larmes et moi, je reste là, figé. J’ai le coeur lourd, l’envie de la prendre dans mes bras et de la consoler est plus forte que le reste, mais est-ce-que j’en ai le droit? Je n’ose même pas la toucher, de peur de déclencher une crise. De quoi? Je ne sais pas. Juste de la voire dans un pire état qu’elle n’est déjà. Je l’aime trop pour ça. Et si avant, cette pensée de pouvoir tomber amoureux d’une personne aussi rapidement me faisait peur, il n’en est rien aujourd’hui. “Je..J’ai tant de choses à te dire, je suis-”

Avant même que je ne puisse continuer ma phrase, elle s’écroule. J’essaye de la rattraper, du mieux que je peux, mais elle se laisse aller de tout son poids pour finir à genoux sur le sol. Alors à mon tour, je me met à genoux face à elle. J’ai peur que si j’essaye de sécher ses larmes, elle ne me repousse ou pire, se mette en colère et me vire avant que je ne puisse m’expliquer. Mais je refuse de la laisser dans cet état sans un minimum de confort. Ma main vient trouver la sienne, de manière tentative. Je la sers à peine, mais j’entrelace nos doigts : rien que ce simple contact m’avait tant manqué. Tant manqué, que j’en ressens des frissons dans mon bras.

Je me fiche que l’on soit sur le pas de sa porte, de toute façon, personne ne nous verra à cette heure-ci. “Yura...Je suis tellement désolé.” Je me répète, mais j’ai besoin de lui faire comprendre. “Je vais tout expliquer, je te le promet. Mais tu dois te calmer avant…” Je me doute que ce n’est pas la meilleure chose à dire, mais j’ai peur qu’elle fasse une crise de panique. Elle tremble et pleure tellement, je me sens impuissant et je déteste ça. Les larmes me montent également, de la voir ainsi, aussi mal. Après tout ce qu’elle m’a dit sur elle, après tout ce qu’elle a dit enduré déjà, je n’en rajoute qu’une couche de plus. Mais je les retiens, reniflant un peu. Ce n’est pas le moment de me laisser abattre moi aussi, Yura se trouve dans un état pire que le mien. Alors, portant sa main que je tiens dans la mienne, je la pose sur mon torse, où on peut sentir les battements de mon coeur - que j’essaye de calmer. “Respire Yura, inspire puis expire doucement. Base toi sur les battements.”

Je n’ai jamais eu à calmer quelqu’un qui faisait une aussi grosse crise de larmes et j’ai bien peur de ne pas y arriver. Je sais que le contact peut aider, mais le mien ne ferait que l’inverse, j’en suis sûr. En cet instant, je me déteste pour faire couler autant de larmes sur ses joues. Peut-être que je n’aurais pas dû revenir. Que j’aurais dû la laisser passer à autre choses. Mon cerveau est comme en ébullition et je ne sais que faire ou que dire. “Je pensais faire bien Yura...Désolé d’avoir disparu comme ça. Jamais, jamais, je n’ai voulu t’abandonner. Je te le jure…” Et peut-être que ma voix craque sur les dernières syllabes sous le coup de l’émotion, sous la tristesse. Et que mes yeux brillent légèrement. Mais c’est ainsi.
 

retrouvailles infernales.
(( tenue ))
C’est à cet instant, quand je la vois trembler comme une feuille, pleurer, tout extérioriser, que je comprends l’ampleur de ma connerie. Je l’ai fais en pensant à elle autant qu’à moi, mais le côté égoïste l’a tout de même emporté. J’étais si pressé, si terrifié à l’idée de perdre cette maigre chance de trouver qui m’avait volé ma petite fille, que je n’ai plus pensé à rien d’autres. J’ai saisi ma chance et je suis parti. Et maintenant, je reviens, et en même temps, je ré-ouvre une blessure qui avait l’air bien guéris.

À l’instant où Yura a ouvert la porte, dans sa belle robe rose, elle avait l’air sereine. Peut-être pas heureuse, mais elle semblait bien vivre malgré mon absence. Cette idée ne m’a traversé la tête que l’espace d’une demi-seconde. Maintenant, je remarque réellement à quel point je l’ai blessé et je ne peux m’empêcher de m’en vouloir aussi. La voir trembler comme une feuille, à même le sol, se cachant le visage...son visage souriant me manque et là, je ne sais pas si je vais le revoir un jour.

Les minutes défilent et elle finit par se calmer un minimum. Ses yeux rougis se pose sur moi et c’est peut-être ça, le pire, dans cet instant. De savoir que ses larmes, elles coulent par ma faute. Je baisse les miens un petit instant, car même si je sais pertinemment que c’est de ma faute, ses mots me blessent quand même. Je sais bien que je l’ai abandonné et je ne pourrais jamais m’excuser assez pour ça…je relève le regard, certainement aussi triste que le sien. “Je sais...mais sache que ce n’était jamais mon intention...j’ai été trop impulsif, j’ai pas réfléchis...je suis désolé.” J’ai l’impression de n’avoir que ces mots à la bouche, mais que dire d’autre?

Mes yeux se posent rapidement sur la petite créature qui a l’air si contente de me voir et ça m’arrache un fin sourire. Puis mon regard se porte sur elle, je la regarde se lever avec difficulté, mes mains prêtent à la rattraper au cas où, l’observant attentivement avant de me lever à mon tour.

Elle accepte de m’écouter et rien que cette simple phrase me fait soupirer, doucement, de soulagement. Le stress revient d’un coup, car même si pour moi c’était très important, peut-être qu’à ses yeux mes décisions vont être perçus de manière bien différente. On ne peut pas revenir dans le passé alors, après avoir pris une légère inspiration, je me lance.

“Tu sais déjà pour l’enlèvement et l-la mort de ma fille...il n'y avait aucun indice, l'enquête a été abandonnée…” ma voix tremble légèrement, mais il fallait s’en douter : ce sujet n’est jamais facile à aborder. “Il y a six mois a peu près, ma collègue, qui m’aidait à fouiller dans les archives, à trouver quelques éléments étranges dans les relevés de la police, comme si l’affaire avait été étouffée, les preuves dissimulés. Il n’y avait même pas de rapport sur la découverte du...du corps. Alors on a commencé à travailler dessus plus en profondeur et on a découvert pas mal de choses, qui a pu nous lier au possible meurtrier. On a eu des doutes, on avait plusieurs possibilités et la majorité des suspects étaient sur Jeju...certains faisaient même parti de la police, donc assez facile de les questionner assez subtilement.” mes mains tremblent légèrement quand je repense à tout ça, ma gorge se noue et ma voix n’a de cesse de se briser.

“Après un mois, un mois et demi, on a enfin eu des pistes assez solides pour confronter la personne...qui se trouvait dans une île, sur les côtes de Jeju. Je t’épargne les détails, le jargon policier, mais il fallait faire vite alors on est parti dès qu’on a fait nos valises. Je voulais te prévenir, inventer quelque chose, te dire que je partais pour raisons confidentielles à cause de travail mais ma collègue, et amie, m’a convaincue du contraire.” j’ai l’impression de lui remettre la faute sur le dos en disant ça, et au fond, je me dégoûte un peu.

“Si tu avais le moindre indice sur où je pouvais être, ou même si tu semblais me connaître, ça pouvait être un risque pour toi. On allait après un meurtrier, on ne savait rien de lui et ce dont il était capable...il ne fallait rien laisser derrière nous, pour ne pas revenir pour voir plus de mal fait que de bien. Et à l’idée de te perdre, de la même manière que j’ai perdu ma fille, je...j’ai…” les larmes s’entendent dans ma voix facilement et par automatisme, je viens me frotter les yeux pour éviter aux larmes de couler.

“Rien que l’idée, je n’ai pas pu. Alors je n’ai préféré rien dire, partir comme un voleur, pour être sûr que tu ne sois mêlée à rien de tout ça. Je sais que j’ai fais une erreur énorme, je ne pourrais jamais assez m’excuser Yura mais je n’ai jamais intentionnellement voulu te blesser ou t’abandonner...je te le jure.” Je la regarde dans les yeux, même si je dois dépeindre un bien pitoyable tableau. “Voilà mes explications...Je comprendrais si tu m’en veux et que tu ne veux plus me voir mais...il fallait que j’essaye de te récupérer...ou au moins de te voir, une dernière fois…” ma voix perd de son volume au fur et à mesure de mes paroles, parce que j’ai peur de dire le mot de trop, le mot qui fera gagner la colère qu’elle porte envers moi, sur son amour.

“Tu m’as tellement manqué…” ma voix était si faible, je me demande si elle l’a entendu. Mais il fallait que je le dise, que je partage ce sentiment de manque qui me hante depuis bientôt six mois. Mon coeur est entre ses mains à cet instant et je pense que je ne pourrais même pas lui en vouloir si elle n’en voudrait plus. J’attends patiemment sa réponse, sentant mon coeur se serrer un peu plus à chaque seconde qui passe.
 

retrouvailles infernales.
(( tenue ))
Je me répète, sans cesse, même si je sais bien que mes “désolés” n’excuse en rien ce que j’ai fais. Et pourtant, je n’ai que ce mot qui me vient à la bouche, comme un disque rayé. Ou juste un homme désespéré, qui sait. J’ai réagi sans réfléchir, cinq mois auparavant, et au passage, j’ai blessé la personne qui comptait le plus pour moi. Ou plutôt, la personne qui compte le plus pour moi, encore aujourd’hui.

Lentement, mes larmes se sèchent d’elles-mêmes, mes yeux rougit étant la seule preuve de leur passage. Vulnérable plus que jamais devant la femme que j’aime, je reste maintenant silencieux, attendant une réaction, ou n’importe quoi. Juste quelque chose. Mes yeux vont partout mais l’évite, parce que j’ai peur. J’ai l’impression de revenir des années en arrière, où je n’étais qu’un adolescent découvrant pour la première fois ses sentiments. Je suis ridicule.

Cette peur d’être rejeté à cause de mes erreurs, comme à chaque fois, est resté ancré en moi depuis le jour où je me suis fait virer de chez mes parents. Et elle reste là, enfouis. Pour ressortir de temps à autre. Comme si cette mauvaise étoile que je pensais avoir échappé était revenu, m’avez retrouvé.

Mais, à ma surprise, c’est l’inverse qui m’attends. Yura me dit qu’elle me comprends, du moins, qu’elle comprends la peur qui m’a emparé et empêché de penser correctement. Je reste toujours silencieux, car je ne trouve pas les mots. Et lui dire merci me semble bien approprié. Certes elle me comprends, mais ça ne veut pas dire que tout est oublié, ça serait beaucoup trop facile et injuste envers Yura.

C’est avec surprise que mes yeux se posent sur elle quand je sens sa main dans la mienne. En un instant, ma prise se resserre - avec douceur - sur sa main, je m’accroche à elle comme si j’étais entrain de me noyer et qu’elle était mon seul moyen de survivre. Et je sens mon coeur s’emballer. Cette petite lueur d’espoir me revient, bien que ce contact ne soit que de courte durée. Ma main se resserre sur du vide cette fois-ci et mon ventre se tord.

J’écoute ses paroles qui me rassure enfin, qui font cet espoir un peu plus qu’une simple lueur. “Bien sûr Yura...En arrivant ici, je n’avais même pas espéré que tu m’écoutes...Le temps est la moindre des choses que je puisse te donner.” S’il lui faut du temps, je suis prêt à attendre et ce, aussi longtemps qu’elle me le demandera. Je n’ai pas mon mot à dire là-dessus, bien qu’elle va me manquait. Encore plus maintenant que je l’ai revu, toujours aussi belle et moi, toujours aussi amoureux.  

Soudainement, je la vois tanguer et trembler, et mon inquiétude revient au galop en même temps que mes remords. “Je veux pas m’imposer mais tu n’as l’air vraiment pas bien...Est-ce-que je peux juste t’aider à t’allonger? Je n’aimerais pas que tu te blesses ou fasse un malaise…” Elle a l’air d’avoir le coeur en miettes déjà, je ne supporterais pas de la voir blessé physiquement. Et encore moins si je peux y faire quelque chose.