Une autre de ses journées où les regards sur lui étaient fuyants, presque apeurés. Qu'est-ce qu'il avait fait de mal cette fois ? Rien de plus qu'à son habitude à vrai dire, il avait fait son boulot en journée, il avait contenu ce désir de contact en le réduisant presque au néant, mais ce n'était pas assez pour arrêter les rumeurs. Être agréable en présence d'enfant ne suffisait pas pour les parents d'élèves, qui avait peur que l'ancien "malade mental" comme ils disaient tous fasse du mal à leur enfant. Cette vision de lui-même le dégoûtait, au point de presque le rendre malade. Ils pensaient vraiment qu'il allait toucher leur enfant ? De cette façon ? Il était peut-être malade d'un sens, ce n'était pas faux, mais il n'était pas un pédophile, et il ne le serait jamais. Mais ça, avant que l'on ne l'écoute, il avait encore du temps à subir sous ses regards jugeurs. Mais ce n'était pas juste eu, son employeur lui-même qui ne cessait pas de lui rappeler que le moindre geste déplacé et il le ramenait à l'asile, que la moindre plainte et il était viré, ce n'était pas la vie dont il avait rêvé, loin de là.

C'était un soir plutôt vide, calme, triste, alors que le mixte sortait tout juste de son lieu de dîner favori, un vulgaire 7-eleven. Les mains dans les poches, bien trop peu couvert alors que le temps se couvrait de plus en plus, une main dans ses cheveux pour laisser l'air caresser son visage quelques secondes. Même son dîner ne s'était pas passé comme il voulait, il s'était fait arnaquer, il manquait des choses, et le vendeur ne semblait pas vouloir lui échanger ou lui faire une quelconque réduction. Sa politesse le tuera, mais il avait laissé tomber. Aujourd'hui sera une journée qui se passera mal et se finira mal sûrement. Il était habitué, ça lui arrivait bien trop souvent. Mais en ces soirs-ci, contrairement à y il a quelques années, il avait des personnes auxquelles il pouvait faire confiance. C'est sans même hésiter que sur son téléphone il composa le numéro d'une belle rencontre qu'il avait fait, lui prévenant qu'il était dans les parages, qu'il aimerait bien avoir un peu de temps avec elle. C'était plutôt naturel, des soirées entre eux, se tenant au chaud. Arrivant sur les lieux après avoir prévenu de son arrivée, un léger sourire quelque peu forcé se posa sur ses lèvres, suivi d'un long soupire. « Hey. Je dérange vraiment pas ? Au pire, j'en ai pas pour longtemps si tu es occupée. »  

Ah Ra n’avait toujours pas trouvé comment contacter son frère biologique. Fallait-il y aller cash, ou devait-elle lui cacher la vérité ? Ne fallait-il pas n’être qu’une inconnue qui croiserait son chemin, lui sauvant la vie de manière hasardeuse ? Elle n’avait aucune envie de faire semblant, mais cela voudrait dire risquer d’ébranler la vérité qu’il s’était construite, et qu’on lui avait construite. Ah Ra s’engouffrait souvent dans ses pensées quand elle rentrait chez elle le soir et qu’elle se sentait seule. Elle n’avait rien d’autre à faire que de réfléchir, trop réfléchir. Son cours de boxe n’arriverait que le surlendemain, mais c’est ce soir qu’elle aurait voulu y être pour se vider la tête.


Son téléphone sonna. Se Jun. Un sourire se traça sur son visage. Ses lippes toujours étirées, elle décrocha. Le jeune homme était apparemment dans le coin – que venait-il faire ici si ce n’était pas pour la voir, hum, et demandait s’il pouvait passer. La blonde répondit évidemment positivement, rassurée de savoir qu’elle ne serait pas seule ce soir. Elle savait ce que ces paroles signifiaient, ce que cette demande cachait. Il avait besoin de compagnie lui aussi, de contact physique, d’elle. Leur besoin était réciproque, viscéral, tous deux recherchant la chaleur du corps d’un autre. La jeune femme observa son appartement tandis qu’elle raccrochait. Il était à peu près rangé, même si quelques fringues étaient éparpillées. Elle prit la peine de les balancer dans son armoire, de manière à débarrasser tout ce qui pourrait faire office d’appui lorsque leur corps nu seraient en contact.


Se Jun arriva rapidement chez la jeune femme. Quand elle lui ouvrit la porte, elle remarqua son expression souriante qui semblait forcée, et elle sentit l’inconfort du jeune homme derrière son regard de détresse. Le ton qu’il prit renforça sa première impression. Avant même de lui répondre, la jeune femme vint poser délicatement sa main chaude sur la joue de son ami, et caressa sa pommette de son pouce. Sa main glissa sur son épaule, qu’elle agrippa pour rapprocher le jeune homme près d’elle et l’enlacer. « Tu rigoles ou quoi, tu ne me déranges absolument pas. J’allais t’appeler si tu ne l’avais pas fait, j’ai besoin de ta compagnie moi aussi ce soir. » dit-elle tout bas. Cette étreinte dura plusieurs secondes. L’odeur familière qui émanait du cou de Se Jun vint chatouiller les narines d’Ah Ra, ayant pour effet instantané un semblant d’apaisement qu’elle recherchait. Leur proximité était familière, habituelle. Ils n’avaient pas à se poser de questions sur les répercussions que leurs gestes pouvaient avoir, et cela rendait le tout facile.


Lorsqu’ils se résignèrent à se lâcher, Ah Ra lui prit la main pour le guider à l’intérieur de l’appartement. Elle se dirigea vers la cuisine, et échangea la main du jeune homme pour la poignée du frigo. « Tu as faim ? J’ai pas encore mangé moi », dit-elle à la recherche de substances comestibles non pourries. Il faut vraiment qu’elle aille faire les courses, ou qu’elle demande à quelqu’un de les faire pour elle. La jeune femme s’était contentée de commander tous les soirs de la semaine, ou de sortir manger, mais elle ne voulait pas se lancer dans cette pente glissante. Elle s’était fixé des objectifs, et bien qu’elle détestât faire à manger, cuisiner faisait partie de ses résolutions du mois. Ah Ra finit par refermer la porte du réfrigérateur, dépitée. Elle se retourna finalement pour faire face à Se Jun, et en profita pour passer ses bras autour de son cou, ses mains venant caresser doucement la chevelure du jeune homme. « Bon, si t’as déjà mangé, qu’est-ce que tu veux faire ce soir ? »
 

Il n'arrivait pas à savoir ce que c'était entre lui et Ah Ra, mais il lui avait offert sa confiance, ce qui était déjà un grand pas. Tout ce qu'il pouvait dire était qu'elle arrivait à savoir ce qui n'allait pas à chaque fois que son regard se posait sur lui, comme si elle venait d'un monde qui lui était encore inconnu, presque comme un ange gardien. Rien qu'à son arrivée, la sensation de sa main le long de sa joue, suivi de l'étreinte, le mixte la serra contre lui quelques secondes, profitant entièrement de ce moment si simple et pourtant si rare. Il n'y avait pas beaucoup de personne qui acceptait si facilement une étreinte comme celle-ci, il en appréciait chaque seconde. Cette chaleur corporelle, toutes ses insécurités, ce qu'il avait refoulé pendant une journée entière, tout s'envola. Il n'avait pas à retenir ses gestes en sa présence, que ce soient les plus légers gestes ou les plus lourds. Malgré sa journée qui l'avait presque déprimé, rabaissé jusqu'à qu'il se sente misérable, un réel sourire vint se poser sur ses lèvres en quelques secondes.  

Il n'était pas le seul cette soirée à nécessiter la présence de quelqu'un, et rien que de savoir ceci le rassura. Il avait peur quelquefois de paraître trop collant, de toujours en demander plus, de se donner une image qui ne correspondait pas à ce qu'il était. Mais ce n'était jamais le cas avec la jeune femme, et c'était la raison pour laquelle il n'avait pas peur de toutes les répercussions habituelles que pouvait avoir les relations de ce genre. Même quand leur corps se séparèrent, main dans la main était suffisant pour lui. Il sentait proche de lui sa chaleur corporelle, c'était amplement suffisant. « J'ai mangé un peu oui, mange, ne t'inquiète pas pour moi. » Bien qu'il dit ceci, il semblait compliqué à la vue de l'intérieur du frigo de la jeune femme qu'elle puisse avoir quelque chose à manger. Et cette vision, il l'a connaissait, il n'y avait presque rien dans le sien non plus, lui qui passait tous ses repas à l'extérieur.

En voyant la jeune femme mettre ses bras sur ses épaules, c'est naturellement qu'il passa ses mains autour de sa taille, caressant doucement, un léger sourire sur ses lèvres. « Je suis déjà bien mieux maintenant alors dit moi ce que toi tu veux faire. Même si je pense que tu devrais manger au moins un minimum. » Non pas qu'il ne voulait pas passer du temps avec elle, mais il préférait la savoir en bonne santé, comme toute personne ferait à sa place peut-être. Mais en regardant derrière lui, en effet, manger sur place aurait été compliqué. « Après que tu aies mangé, je serais tout à toi. »   

Se Jun semblait déterminé à ce que la jeune femme mange. Son frigo étant vide, elle aurait habituellement opté pour manger des conserves ou des nouilles trainant dans le placard, mais sa faim se voulait trop grande pour qu’un modeste repas ne la satisfasse. « C’est pas que je sois contre l’idée de manger, c’est juste que j’ai rien à manger. T’as bien vu mon frigo ? » affirma-t-elle finalement, leur corps toujours greffé l’un à l’autre. L’idée de commander était vraiment tentante. Elle se dit que ce serait la dernière fois cette semaine, et que le lendemain elle irait faire ses courses, vraiment. Elle n’eut pas le temps de saisir son téléphone pour passer commande, son ami l’avait devancée et lui demandait ce qu’elle voulait manger ce soir. « Non mais tu viens pas ici pour me nourrir, je peux commander toute seule. Maaaais puisque tu le proposes si gentiment… J’ai vraiment envie de dakgangjeong là. » répondit-elle en lui faisant les yeux doux.


Elle aimait voir que Se Jun voulait prendre soin d’elle, il faisait réellement attention à elle. Elle se disait forte et indépendante, mais au fond elle aurait juste aimé avoir quelqu’un près d’elle avec qui partager son quotidien. Elle avait certes Eunjung qui venait squatter la plupart des soirées, mais elle avait besoin de plus, besoin de quelqu’un avec qui partager sa vie. Elle se sentait seule dans ce grand appartement. Elle avait même envisagé déménager pour vivre dans un petit studio, mais elle n’avait jamais sauté le pas. La jeune femme posa sa tête sur le torse de son amant pendant qu’il recherchait un restaurant qui livrait à cette heure tardive, et se concentra sur sa respiration. Elle se dit qu’elle profiterait de cette soirée, mais qu’elle ne pourrait espérer avoir plus avec lui. Il avait été clair dès le début, et elle avait accepté ses conditions.


Profitant que son preux-chevalier volant à la rescousse de son estomac passait commande, elle se détacha de ses bras pour fouiller dans son bar et trouver de quoi patienter jusqu’à ce que sa commande arrive. Elle prit la première bouteille de vin rouge qu’elle trouva et revint dans la cuisine pour se munir de deux verres. « Je te sers ? » demanda-t-elle doucement au jeune homme. Ah Ra ouvrit le tiroir pour en prendre le tire-bouchon. Elle prit la peine de retirer l’opercule au-dessus, puis y enfonça délicatement l’outil avant de le tourner et de sortir le bouchon impeccablement. On aurait dit qu’elle avait fait ça toute sa vie, la triste réalité étant qu’elle ouvrait souvent ses bouteilles toute seule. « Alors, que faisais-tu par ici en cette fin de soirée ? » demanda-t-elle finalement en versant le vin dans un verre.

 

 Lui-même pouvait s'autoriser à ne pas manger, ou juste manger mal, très mal, mais il n'aimait pas savoir que les personnes autour de lui qu'il appréciait soit dans une mauvaise phase. Alors en apprenant qu'Ah Ra n'avait pas mangé et qu'en plus elle n'avait rien dans son frigo, qui aurait-il était s'il l'avait laissé comme ça sans rien à manger. Ça lui faisait mal à son pauvre porte-feuille, mais il pouvait bien lui faire ça. Après tout, elle était d'une grande aide et d'un grand soutien pour lui. Puis s'il avait des problèmes, il mangera moins dans le mois jusqu'à avoir sa paie, il le pouvait, il résisterait. Et ce que Madame demandait avec ces yeux doux, Madame aura. Enfin ça, il essayait surtout de lui donner. Il ne pouvait pas tout lui promettre, mais de la nourriture parfois, il pouvait bien. Dakgangjeong elle voulait, dakgangjeong se sera. Heureusement qu'il n'était pas trop tard, sinon il n'aura soit pas eu la possibilité de s'en faire livrer, soit tout serait fermé.

La voyant se détacher de lui, il continua malgré tout à finaliser sa commande en la laissant faire, après tout, elle était chez elle. Il voyait le montant qu'il allait devoir payer par cash, il pouvait entendre le son des micro-ondes qui allait l'aider à manger chaud, parce qu'il n'allait pas pouvoir se faire trop de plaisir ce mois, mais c'était pour la bonne cause, et ça lui faisait plaisir, vraiment. Il n'y avait plus qu'à attendre, les mains tombèrent dans les poches de son pantalon accompagné de son portable, son regard fixé vers la jeune femme. Il ne put s'empêcher de lâcher un petit rire en la voyant sortir une bouteille de vin, il trouvait la situation plutôt ironique à vrai dire. « Tu vas me dire que tu as rien à manger, mais boire tu as toujours de quoi ? Et oui un verre s'il te plaît. » Bien qu'il riait de la chose, il ne refusait pas un bon petit verre de vin rouge. Cela faisait sûrement un long moment qu'il n'avait pas bu, mais il ne se laissait jamais emporté par l'alcool, un buveur responsable en quelque sorte. Il avait trop d'alcool dans son sang pour conduire, mais assez pour rester en contrôle de lui-même.

La laissant le servir ainsi que de se prendre un verre, son sourire disparut quelques secondes en entendant sa question. Ce n'était rien de spécial vraiment, rien de très beau, il vivait pratiquement dans ses rues le soir et il avait besoin de compagnie. Peut-être qu'il avait vraiment fait le chemin naturellement parce que son corps réclamait ce toucher que personne ne lui donnait. « Je marchais un peu après manger avant de rentrer chez moi, puis je me suis retrouvé dans le coin, je crois que mes pieds m'ont envoyé un message assez clair pour que je t'envoie un message pour passer. » Son corps entier commençait à réclamer après tout, cette malédiction qui lui rongeait la peau jusqu'à l'os jour après jour. Ce trauma qui l'avait collé tant de temps chez les fous. Mais aujourd'hui, il voulait se contrôler, et Ah Ra l'aidait vraiment à prendre en main sa vie à nouveau.