encore une fois, il se réveille avec de la sueur perlant sur son front. encore une fois, sa respiration s’accélère, sa vue se trouble légèrement, alors qu’il fait une crise de panique. il se sent emprisonné dans sa couette, ce qui lui paraîtrait si stupide en tant normal et pourtant, en cet instant, il se débat pour sortir de son lit. les yeux d’iris se posent sur les quatre coins de sa maison, avec toujours cette impression d’être observé, qu’elle est là.

ça fait trois ans qu’elle est apparue. cinq mois après son décès. depuis, elle ne l’a plus quitté. une présence qu’il ressent plusieurs fois par semaine, qu’il ne comprend pas. au début, il pensait que c’était l’alcool : son cerveau trop imbibé de celui-ci qui le faisait rêver, lui faisait voir des choses. il a décidé d’arrêter à cause de ça, à cause d’un rêve plus particulièrement. un rêve où il se voyait, à travers les yeux d’eunha. il se voyait sourire, rire. elle, il l’entendait. l’entendait l’appeler papa, l’entendait lui dire « je t’aime ». après ça, il est revenu dans le droit chemin. où qu’elle soit, aussi stupide que cela puisse paraître, il ne voulait pas tarir cette image.

alors il a repris sa vie en main. les rêves ont continué, ces étranges apparitions aussi. toujours aussi troubles mais pourtant toujours présentes. comme s’il avait du mal à se rappeler de son visage. ce visage qu’il connaît pourtant par cœur, qu’il a embrassé pourtant tant de fois. combien de fois a-t-il pleuré avec ces illusions ? il n’arrive plus à les compter iris. c’est devenu trop difficile.

alors il a décidé d’y mettre un terme. après des heures prolongées devant son vieux pc marchant une fois sur deux, il a trouvé certains signes, certaines amulettes, qui permettraient aux fantômes de quitter la personne à laquelle ils sont attachés. c’est le cœur lourd qu’il parcoure les rues de jeju, en direction d’une petite boutique, ici depuis des années, sûrement une vieille dame attendant ses clients derrière un comptoir poussiéreux. il ne s’attend pas à grand-chose iris, en mettant les pieds dans ce petit magasin. juste un peu de paix. des nuits plus longues que trois heures. c’est tout.

« bonjour… ? » il le phrase comme une question, ne sachant pas s’il est seul. ou même si la boutique est ouverte, à vrai dire. tout est calme dans celle-ci. il s’avance vers le comptoir, observant les murs qui l’entourent. les objets qu’il peut voir, les babioles. il y a vraiment de tout ici et il se demande même s’il a bien fait de venir.

l’air frais aurait dû lui faire du bien. mais rien n’y faisait. après cette crise de panique, ces sueurs froides, ce réveil plus que décevant, iris avait une constante pointe à l’arrière du crâne. comme si quelqu’un y exerçait une pression, constamment. depuis un an maintenant, il ne savait pas différencier de banales migraines d’un avertissement.

avertissement de sa prochaine apparition. avertissement de la prochaine illusion. c’était il y a peut-être quelque mois, qu’iris s’était rendu compte qu’il ne voyait pas que sa fille en rêve, qu’il vivait un cauchemar éveillé, où il était obligé de se souvenir d’elle. d’entendre sa voix, sa manière de l’appeler papa.

iris, il a toujours entendu parler de ces histoires étant murmurées aux quatre coins de l’île. à ces êtes fantastiques qui hanteraient les lieux. quand il était petit, ça le fascinait : il aimait à les dessiner, s’imaginer à quoi ils pourraient ressembler. il ne sait pas encore si c’est juste son cerveau qui lui joue des tours à cause de la tristesse. ou si ces légendes sont vraies et qu’il peut maintenant voir sa fille. mais il a décidé de tester l’une des deux options. ce sont les bruits de pas, de talons martelant le sol, qui le font sortir de sa rêverie alors qu’il regardait un objet qu’il trouvait particulièrement joli. relevant son visage, c’est une pile de cartons qu’il voit bouger derrière le comptoir, lui faisant lever un sourcil.

il n’a pas le temps de proposer son aide, ou même de s’approcher pour aider la personne portant ces paquets, que le premier tombe, le faisant sursauter. « oh bonjour monsieur ! » iris relève ses yeux vers la personne jusque-là cachée par les cartons et fronce rapidement les sourcils : il s’attendait à une vieille dame, mais c’est tout le contraire qui l’accueil. il ne se laisse pas surprendre bien longtemps par l’apparence de celle-ci, ne voulant pas non plus la dévisager et la faire se sentir mal à l’aise.

s’approchant du comptoir, il a la décence d’enlever sa casquette, passant une main dans ses cheveux pour se recoiffer un minimum, avant de poser celles-ci sur le comptoir. « je peux vous aider ? » comme toujours, il se met à jouer avec ceux-ci, alors que la timidité le gagne : il espère être tombé sur une personne assez ouverte d’esprit, qui ne lui rira pas au nez. « j’espère que vous pouvez m’aider. » dit-il avec un léger sourire en coin. sourire qu’il perd rapidement, alors qu’il repense à la raison de sa venue. à ses visions qui le hantent, qui l’empêche de dormir. « je suis venu pour acheter hm… un truc. à vrai dire, je sais pas quoi exactement. » iris la regarde, puis viens passer sa main sur son visage, son mal de crâne s’intensifiant. il n’y prête pas attention. il a connu pire comme douleur : c’est juste désagréable, ça l’empêche de penser, de trouver les bons mots pour ne pas passer pour un fou. « ça va paraître complètement stupide ce que je vais dire, mais je cherche un objet, n'importe quoi, qui éloigne les fantômes, les mauvais esprits… tout ça. »

il ne peut pas cacher qu’il appréhende sa réaction. alors il la fixe, la regarde dans les yeux. comme pour la défier de se moquer. il en a assez donné quand il était plus jeune, il n’a plus a se laisser marcher dessus maintenant. le visage de la jeune femme est doux, elle paraît gentille, mais il a appris à se méfier des apparences il y a de celui bien longtemps.

aucun jugement ne se lit sur les traits du visage de la jeune femme face à lui. bien au contraire, celle-ci garde un joli sourire qui illumine son visage. iris ne sait pas si ce n’est que du professionnalisme ou qu’elle essaye juste d’être sympathique. d’un côté, il préférerait la deuxième option. ce n’est pas souvent qu’il a l’occasion de rencontrer des personnes qui ne s’arrête pas sur ses airs froids. après, peut-être n’a-t-il pas montré son côté renfermé en arrivant. la timidité a tendance à le rendre moins intimidant.

“heureusement. ça aurait été ironique que vous me preniez pour un fou alors que vous vendez des objets contre toutes ces choses-là.” c’est avec un petit sourire sur le visage qu’il prononce ces quelques mots, avant de la suivre à travers les rayons. il perd rapidement son sourire alors que son mal de tête se fait ressentir une nouvelle fois. ça revient toutes les dix minutes, pour lui rappeler. lui rappeler que ça peut arriver à tout moment : mais il ignore, il espère juste être tranquille le temps de terminer son shopping.

iris repose ensuite ses yeux sur la jeune femme, la détaille des pieds à la tête, l'observe. l’observe chercher cet objet dont il a tellement besoin. il ne peut s’empêcher d’espérer trouver quelque chose, n’importe quoi. même une couronne lui irait, il apprendrait à dormir avec s’il le faut, il veut juste un peu de paix.

iris l’observe tout autant qu’il observe les objets entre les doigts de la jeune femme. il la regarde en prendre de plus en plus, se demandant avec quoi il va finir dans son sac. en espérant que ça ne soit pas trop cher : ce n’est pas l’argent qui coule à flot dans ses poches, malgré ses deux boulots. il a pensé plusieurs fois à trouver un autre travail, qui payerait mieux. mais pour le moment, il n’a jamais trouvé. iris cherche encore, de tout. même faire du mannequinat le dérangerait pas : si ça lui sert à payer ses études et son loyer.

“vous n’y croyez pas ?” iris est un peu surpris par ça. après tout, pleins d’objets de cette boutique sont en rapport avec les yoghwi, à ce qu’il avait vu sur les nombreux commentaires sur internet. “je pensais le contraire...” il le dit sur un ton blagueur, après tout, il n’est pas là pour juger non plus, puisqu’il vient en acheter.

puis il la voit essayer d’attraper un objet en hauteur et, malgré les talons, c’est vrai qu’elle reste petite. elle doit bien faire une tête de moins qu’iris, peut-être même une et demi. il s’avance alors à son tour et les attrape sans mal, avant de lui tendre, regardant également les boîtes qu’il vient d’attraper. “à quoi servent-elles ?” il a toujours été un peu curieux. que ce soit à l’âge de sept ou vingt-cinq ans, cet aspect de lui n’a pas changé.

elle lui prend les boîtes qu’il vient de récupérer et se met à lire, laissant iris en dehors de ça. ses yeux se posent sur la jeune femme, sur ce qui les entoure, puis sur elle encore une fois. elle a tendance à laisser un petit rire s’échapper d’entre ses lèvres à chaque fin de phrase et iris aime particulièrement ça. elle semble juste heureuse de vivre, chose qu’il a du mal à intégrer dans sa tête. il essaye de voir une belle facette de la vie, il sait qu’elle vaut le mérite d’être vécue : il a connu l’amour, la joie d’être père et il sait que la vie te met des bâtons dans les roues quand tout est trop beau. mais il ne peut s’empêcher de voir une image terne de sa vie d'antan, avec tous les événements récents. pourtant, iris, face à cette vendeuse, il se sent un peu mieux, il oublie un peu, son mal de tête lui semble si petit maintenant.

puis c’est à son tour de rire, face à cette explication. un léger rire, qui se transforme en sourire par la suite. “vous vous rendez compte que vous êtes l’une de ces personnes qui arnaquent les touristes j’espère ?” encore une fois, il balance une plaisanterie. il espère juste ne pas la vexer. au pire tant pis, il pourra se justifier après.

quand elle se re-concentre sur les boîtes, iris laisse son regard se porter sur ce qui les entoure une nouvelle fois, chose qu’il fait depuis qu’il est entré dans la boutique. toujours cet air curieux sur le visage, il regarde chaque objet, essaye de deviner à quoi il sert alors qu’il finit par se perdre dans ses pensées, dans des souvenirs. après un petit moment de silence entre les deux, c’est la voix de la jeune femme qui le fait sortir de ses rêveries, alors qu’il fixe son regard sur elle, tandis qu’elle lui explique ce à quoi servent les amulettes. s’il avait eu assez d’argent, il aurait très certainement pris le porte bonheur, iris. voire même l’amulette pour l’amour, qui sait. peut-être que comme ça, il retrouverait un nouvel aspect de la vie qu’il apprécie. ayant grandi dans un foyer emplis d’amour, iris a toujours aimé en donner. et après avoir connu l’amour, être seul pesait encore plus qu’avant qu’il ne connaisse cette jeune femme, qu’aujourd’hui il déteste tant.

iris prend l’amulette qu’elle lui tend, l’observe un petit instant, avant de remercier la jeune femme en souriant. sourire qui disparaît bien rapidement, trop rapidement même. s’il voit les fantômes ? il ne saurait même pas répondre à la question. il a sa petite idée dessus, il espère juste se tromper. “je sais pas. je pense ? je sors de trois années de cauchemar, j’arrêtais pas de boire et j’ai commencé à voir…” sa gorge se noue, ses sourcils se froncent, son regard se perd sur le sol. il sait que les larmes peuvent venir à tout moment, mais il est hors de question qu’elles coulent. il ravale tout ce qu’il a, inspire puis expire lentement. “puis j’ai commencé à voir une personne décédée. j’ai eu du mal a savoir si c’était que des rêves, ou l’alcool qui parlait, mais ça fait un an que je n’ai plus bu à en perdre la mémoire alors...je teste la théorie.”

c’est pourtant si abstrait ce qu’il a dit, sans détails, mais il sent son coeur plus lourd qu’à son entrée dans la boutique. iris n’en a jamais parlé en détails, seule sa cousine est au courant pour la mort d’eunha. peut-être aussi les rares personnes qu’il a croisé au cimetière en juin, des visages inconnus, à qui il ne parlera jamais, alors il s’en fiche. mais personne d’autre n’est au courant. il n’a plus de lien avec les personnes qui étaient autour de lui quand eunha était encore là. seules des photographies de la jeune enfant, accrochée sur le mur au-dessus de son lit, sont la preuve qu’elle a existé.

comme toujours, iris ne pense pas que ses paroles puissent être blessantes. voire même juste incorrectes face à une personne qu’il a rencontré il y a de cela quelques minutes. de longues minutes, certes, mais ça reste une personne qu’il ne connaît pas. il n’en connaît que l’apparence, que certaines idées qu’elle puisse avoir : il ne connaît même pas son prénom, à cette jeune femme. pourtant, il ne s’est pas gêné à balancer sa plaisanterie et la voilà vexée.

“désolé, je voulais pas insinuer ça...j’ai tendance à dire des trucs cons quand je suis face à une inconnue aussi jolie.”

cette phrase, même lui il ne sait pas d’où elle sort. ses sourcils se froncent, ses joues deviennent un peu plus rouges alors qu’il ne comprends pas pourquoi il vient de dire ça. certes, c’est la vérité : iris est une personne honnête et cette jeune femme est vraiment très belle. mais peut-être que ça fait un trop creepy de dire ça à une inconnue. il espère une nouvelle fois qu’elle ne le prendra pas mal, ou comme des avances : il a plus de classe que ça quand même. puis au pire, ce n’est qu’un compliment. ce n’est pas comme s’il l’avait invité à sortir là maintenant, alors qu’il ne connaît pas son prénom.

il toussote un peu, iris, comme pour faire oublier ce qu’il avait dit, pour oublier sa timidité qui a surgit une nouvelle fois. mais cette ambiance légère finit par être bien rapidement remplacée par l’ambiance lourde et maussade qu’iris vient d’installer. sa vie n’est pas des plus roses, c’est sûr. de voir la jeune femme avec un regard aussi compréhensif l’apaise un peu, alors que sa main se resserre sur l’amulette au creux de sa main. un rire vide s’échappe d’entre ses lèvres. “la seule autre solution que j’ai essayé avant celle-ci, c’était l’alcool. puis je me suis dis que c’est pas la manière dont je veux qu’elle me voit donc...j’ai changé.”

il regarde ailleurs en lui disant cela, il ne sait pas ce qu’elle va imaginer, mais certainement pas qu’il a une fille. iris ne se sent pas d’élaborer, sa gorge se nouant un peu plus, le faisant tousser une nouvelle fois. au moins, il ne sent pas ses yeux le brûler et sa migraine est beaucoup moins douloureuse maintenant. quand elle se remet à parler, iris la regarde et il est récompensé d’un beau sourire, qui le fait se sentir mieux. ça fait du bien de voir que même une inconnue peut se montrer compatissante. il n’a pas souvent connu ça dans sa vie, iris.

il la suit jusqu’au comptoir, toujours l’amulette au creux de sa main. une fois devant le comptoir, il dépose celle-ci pour que la jeune femme puisse l’emballer. “si j’avais plus d’argent, j’aurais certainement pris les deux autres...mais bon, je me contenterais d’avoir votre numéro.”

…

wait, what ?