MY DISEASE IS WHAT you fed lDans la famille Yu, un homme le devient en accomplissant des tâches qui prouveront sa valeur. Dure réalité expérimentée par un père sévère qui jusqu’à l’adolescence représentait à la perfection le patriote exemplaire que voulait devenir Se Han. Son père était un militaire et il a suivi les mêmes traces en ayant malgré lui des difficultés tout autres. Pour commencer, Se Han avait besoin de plus de stimulation intellectuelle, ne pouvant s’arrêter de penser sur tous les sujets qui se présentaient à lui. Le second c’est cette soif de justice et cette impatience de voir les choses changer comme si, naïf qu’il était, sa simple personne pouvait changer les choses. Mais peu à peu, les rêves se brisent et il se rend compte de ce subterfuge auquel avait eu recours son père. Si désireux d’obtenir ses faveurs, son caractère s’est effacé lentement au profit d’une copie plus conforme alors qu’il ne l’était pas du tout.

Une enfance heureuse, troublée par ce dilemme qui finira par lui exploser au visage : fille ou garçon, au fond, pour lui la différence n’est pas tant physique. Des caractères plus sensibles à ceux plus rentre-dedans, il en a vu passer et lui se situait toujours au milieu, sans savoir sur quel pied danser, ni comment avouer. Longtemps rongé par ce mensonge qu’il devait garder pour lui, il a poursuivi sa formation dans l’ombre de cet homme qui lui interdisait l’amour, lui vendant comme une faiblesse toutes les étreintes d’une mère et les réconfortants baisers sur le front qu’elle pouvait lui prodiguer.

Il est soldat, à coup sûr, sa carrière prometteuse, entrainée par les soins de son paternel et sous son regard plus ambitieux que bienveillant, il revivait pour lui les rêves inachevés de ce dernier. Les premières missions, puis l’intervention la plus périlleuse de sa vie, celle qui a eu raison de sa sérénité mentale, envoyé au front dans un pays loin de sa patrie, se dessine ce destin qui le privera de tout ou du moins il le croyait. Avenir compromis par une blessure à la jambe, diagnostiqué inapte à retourner sur le terrain, un militaire éclopé ne peut plus se considérer comme tel. En lui montait ce besoin de réconfort, cette sureté qu’il avait malgré tout une chance, qu’il pouvait se rattraper, mais rien. Sa mère habituée n’avait pas dit un mot, son père non plus et c’est à ce moment qu’il n’a plus su tenir. Immobilisé un temps, incapable, inefficace. Si les moqueries s’étaient tues lorsqu’il avait gravi les obstacles un à un, la douleur traitresse d’un membre qui lui fait à présent défaut a fini par graver de façon indélébile cette idée qu’un simple prénom n’aurait jamais dû être donné pour le pousser à bout. La rancœur enfouie ressurgit comme l’écho malin d’un tsunami qui gronde et s’abat sur la ville tout entière, particulièrement son supérieur, son père.  

Inapte, incapable, inutile, comme il se sentait et rejeté, fichu, un objet cassé bon à la refonte. Mais il est humain et le temps a fait ses ravages, il est trop tard pour un nouvel héritier. Il devait faire avec. Plus encore, ce regard qu’il ne trouvait plus, cette fierté qu’il ne lisait plus, bon a marié pour une retraite très anticipée. Qui voudrait d’un homme qui n’en est plus un s’était-il dit. Qui voudrait de lui ? Puis faute d’avoir autre chose à faire, il s’est mis à penser comme autrefois, avant que son éducation n’occupe le plus clair de son temps. Un regard, un sourire de cette fille avec un petit nœud dans les cheveux ressemblant à une fleur. « Qu’est-ce que tu fais soldat ? Tu n’as pas le temps, plus tard ! » un garçon, avec lequel il démarre une émeute, simple frictions qui finissent dans l’herbe fraiche et dans les rires joyeux « Je t’interdis de le revoir, il a mauvaise influence » mauvaise influence… chaque fois que son regard insistait sur une personne du même sexe, c’était toujours la même chose. Parler de femmes sur le chemin, parler d’idylles et de lettres que l’on recevait de ces belles intéressées plus par la testostérone que par l’héroïsme des soldats était un centre d’intérêt commun, mais parler d’hommes, au grand jamais. Il rit, tout seul dans son lit, se passe une main dans sa frange ébène, mordille sa lèvre et il affronte le regard de son père resté silencieux, de visite qui comptait lui présenter la fille d’un ami.

Le plateau-repas vole en éclat, tout se mélange, entre les visages meurtris de ses camarades tombés, les bruits des coups de feu, des obus qui éclatent non loin, la poussière qui se soulève, les cris de ceux qu’ils étaient censés protéger, sa priorité à lui c’était de le marier ? Se Han n’en avait pas eu assez, il voulait poursuivre son rêve de justice différemment. Se ailleurs qu’en Corée, quelle merveilleuse idée il avait eue, au nom de quoi finalement ? Perdu, il était perdu et il a ri encore et encore, pleuré en même temps à en avoir des crises d’angoisse la nuit, à perdre un rythme respiratoire et à sentir monter en lui la peur de mourir sans avoir rien accompli. Un mariage… non, jamais, un mariage lui répétait-il jour après jour et il en a eu assez «Ne décides pas à ma place qui je dois aimer, tu ne sais pas ce que c’est, je t’interdis… OUI parfaitement, JE t’interdis de me dicter qui je dois être » debout, tremblant sur sa minable canne qui lui servait de support, il recommençait à marcher, mais se dressait fièrement contre l’autorité de toute une vie. Plus jamais il ne le laisserait faire, ni lui ni personne et sous les yeux de ce père contrarié, il avait enlacé sa mère. « Je t’aime » avait-il dit.

Un temps, il ne lui avait plus adressé la parole, un temps il avait cru comme lui qu’être un homme c’était exécuter les ordres qu’on attendait de lui, c’était ne pas aimer un autre homme, c’était ne pas montrer aimer. Mais il n’était pas comme lui et pourtant, la fierté il l’avait lu à nouveau dans ses yeux. L’histoire ne s’est pas si mal terminée, bien qu’encore tumultueuse, leur relation perdure et le mal s’estompe. La douleur, elle n’a pas tari et ronge toujours la jambe de Se Han devenu policier. Au sein d’une ville, peut-être qu’il deviendra quelqu’un, celui qu’il veut, celui qui défend et qui ne tolère pas que l’on dicte au peuple son comportement. Intolérant, sans doute, plus à la bêtise et à ceux qui croient qu’on leur doit quand chaque homme demeure pourtant libre de ses actes et de ses choix. Sa langue déliée, il n’a jamais pu la ranger dans sa poche, impossible de le faire taire quand il n’accepte pas quelque chose. Il est imprévisible et son sens de la justice est resté plus aiguisé qu’une lame ou que n’importe quelle balle. Se Han est impatient, Se Han veut bouger, mais son membre ne le lui permet pas autant qu’il le voudrait, alors il prend sur lui jusqu’à la prochaine explosion.