Le petit bonheur Je n’ai pas de grands souvenirs de mon enfance, seulement de vagues images comme tout le monde. Je me souviens d’une grande cour avec pleins d’enfants de tout âge et des femmes qui nous regardaient jouer. Je sais que c’était la cour de
mon orphelinat aux Philippines. J’y ai vécu les 4 premières années de ma vie avant que mes parents ne m’adoptent. De cette époque, il ne me reste que quelques mots de pilipino et de tagalog.
J’ai grandi dans une famille assez atypique. Officiellement, appa est mon seul parent, mais en réalité il y a aussi daddy dans ma vie :
Baek Minki, un avocat de 54 ans et
Lee Chanwoo, un propriétaire de librairie de 56 ans.
J’ai grandi dans une famille homoparentale et je ne m’en suis jamais plaint, car ils ont toujours pris soin de nous et nous avons toujours eu tout ce qui nous était nécessaire. J’avais 11 ans quand
Baek Eunsoo et
Baek Yeinsoo ont rejoint notre famille. Elles venaient des Philippines aussi, alors je me suis tout de suite attaché à elles et puis… Elles étaient beaucoup trop mignonnes.
Je me souviens qu’étant petit, j’allais souvent voir Daddy à sa librairie.
J’aimais feuilleter les romans qui s’y trouvait et sentir l’odeur des livres. Daddy me parlait des livres, de leurs auteurs, il m’expliquait ce qui faisait un bon livre à ses yeux et comment il savait qu’un livre se vendrait bien.
Ça me fascinait et c’est sûrement ce qui a développé ma préférence pour les couvertures de livre.J’ai commencé le dessin assez tôt, vers 7 ans. J’allais prendre des cours de dessins après l’école et je dessinais les personnages de romans selon l’image que je m’en faisais. Puis, j’offrais ces dessins à mes sœurs qui étaient toujours heureuses de pouvoir les accrocher dans leur chambre. Je me souviens qu'Appa venait souvent m'observer d'un oeil fier quand je dessinais.
La tête brûlée Je pense que j’ai commencé à partir en cacahuète au début de mon adolescence. C’est une période de notre vie où les gosses sont méchants. Au lycée,
les autres m’insultaient dès qu’ils découvraient que mes parents étaient des hommes, ils me disaient que j’étais un moins que rien, un mec bizarre. Ça me foutait hors de moi, parce qu’il ne valait pas un dixième de mes parents. Alors je leur cognais dessus. Oui, je sais, j’étais un gamin malin, mais bon.
J’ai commencé à sécher parce que ça m’emmerdait de devoir voir leurs sales tronches.
Je traînais dans la ville avec mon carton à dessin. Je pense que j’ai commencé à fumer dans ces eaux-là aussi. Bah oui, quand on traîne en ville toute la journée, on se fait rarement de bonnes fréquentations.
Quand je rentrais le soir, mes pères m’attendaient de pieds fermes et essayaient de mastiquer pour savoir ce qu’il me prenait, mais je ne leur disais rien. Leur dire revenait à les blesser et je les aime beaucoup trop pour ça.
Un soir, on est allés boire dans un bâtiment abandonné de la ville. Je m’en souviens très bien, parce que je trouvais l’endroit comme mystique, il y avait un truc. Je crois même que j’en ai fait des croquis qui traînent dans ma chambre d’ado.
Bref, on était là
, tous en cercle autour d’un petit feu, on écoutait du k-rap en buvant à même la bouteille. Les filles commençaient à être bien bourrées et les mecs semblaient vouloir se lancer des défis bidons comme tous les ados débiles le font.
Au bout d’un moment,
on m’a défié de faire une danse mignonne sur un table de granite qui était là, elle avait l’air assez ancienne. J’ai accepté et j’ai commencé ma danse, sauf que vu que j’étais bien amoché,
j’ai glissé et la table s’est cassée. Je vous jure que ce jour-là, j’ai entendu
un rire, ça m’a filé un frisson d’horreur.
Le regretC’est le lendemain que j’ai compris, quand j’ai pris le bus, que j’ai aidé une petite dame à s’asseoir et qu’elle a commencé à me lancer des regards coquins depuis l’autre bout du bus. Au début, je me suis dit que c’était rien, puis ma main a frôlé celle du caissier à la supérette et le gars m’a demandé mon numéro en caressant ma main, il devait avec l’âge d’appa. J’ai senti qu’il y avait un problème, et pas un petit, alors j’ai appelé Daddy en panique. Daddy a toujours été ma référence en cas de pépin. Quand je lui ai raconté ma journée, il a trouvé sa bizarre et on a décidé de se retrouver à sa librairie.
Je lui ai tout expliqué, la sortie de la veille, les défis, la vieille dame, le caissier, mais surtout le rire que j’ai entendu en lui précisant que j’avais bu. C’est là qu’il m’a rappelé une légende qu’il me racontait petit :
les yoghwis. Daddy a toujours cru aux légendes qu’on racontait, disant que chaque légende était fondée, qu’elle n’apparaissait pas par magie. Pour lui, j’avais été maudit, parce que la table était sûrement un autel dédié à un yoghwi et le bâtiment un ancien temple. Je n’en revenais pas,
je ne pouvais pas accepter l’idée d’être maudit pour un défi.
Le soir même, je suis sorti dans une rue bondée pour voir… Les gamins peuvent être de vrais crétins.
Vous savez ce que c’est une foule entière qui essaie de vous tripoter, vous embrasser et vous draguer ? J’ai eu la peur de ma vie et j’ai couru le plus vite possible pour leur échapper jusqu’à chez moi.
J’étais maudit, définitivement.
Depuis ce jour, il y a une dizaine d’années,
je limite mes contacts avec les autres. J’ai fini mes études par correspondance, j’envoie mes dessins par mail, fax ou courrier, je ne serre plus ma famille dans mes bras et j’évite les transports en commun et les endroits trop fréquentés. Je vis une vie de quasi-solitude parce que j’ai fait des aegyos sur un autel. Réfléchissez bien avant d’agir !