shameless La pièce est exiguë, et il se retrouve seul face à ce policier. Celui-ci jette un dossier sur la table qui sépare les deux hommes. Sur ce dossier se trouvaient les photos d’un corps. Siwon pose son regard sur celles-ci avant de se rendre compte de ce dont il s’agit. Il prend les photos et les retourne, pour en fixer le dos immaculé. Le policier semble le fixer un long moment. S’il est mal à la l’aise, il n'en montre rien. Le policier n'a pas besoin d'ouvrir la bouche pour qu’il comprenne ce qu'il se passe. Sa mère est morte, et s’il est ici, c’est que la cause de son décès n'est certainement pas naturel. Au vu de ta présence ici, tu sais que la police ne t'a pas offert le beau rôle. Il ne peut pas les blâmer, après tout, s’il avait été à leur place, il aurait peut être accusé sa propre personne d'avoir assassiné sa mère. Il a même un mobile pour ce meurtre : la maternelle ne s'est jamais occupée de Siwon et l’a même mis à la porte quand il avait 18 ans.
« J’aurais jamais dû te mettre au monde » avait-t-elle hurlé en pleine nuit, rameutant tout le voisinage. Elle était droguée, se prostituait et ramenait des hommes dans sa propre maison, au détriment du bien-être de son propre enfant.
— Donne-moi une raison de croire que tu n’as pas tué ta mère. Visiblement il ne s’est pas trompé. Pourtant il garde une mine impassible. Sa mère est morte et il semble difficile à croire que le jeune homme ne verse pas une seule larme. Ce qui pousse d’autant plus le policier à le croire coupable. Pourtant calmement, il prend la parole et dit :
— Elle m’aimait. Elle ne me le montrait pas forcément, et elle avait une manière différente de le témoigner, mais elle m’aimait. — Et qu’est-ce qui te fait dire ça ? Elle t’a pourtant mise à la porte et t’as laissé vivre à la rue pendant des années, tu as du te débrouiller tout seul, à affronter le froid, la faim et le regard des gens. Alors pourquoi semble-tu si sûr de toi ? — Les moments où elle n’était pas droguée ou alcoolisée, elle pouvait passer des heures à pleurer le soir. Elle n’arrêtait pas de s’excuser et de se morfondre sur le fait qu’elle était une mauvaise mère. Pourtant malgré tous ses remords, son amour pour moi n’a jamais vaincu les appels du vice. Il était difficile de dire pour le policier si oui ou le jeune homme se fourvoyait ; si le fait que cette mère, aussi morte soit-elle, avait pu aimer son enfant un jour, mais aussi si cet enfant se persuadait de cette réalité, peut-être montée de toute pièce, pour garder le meilleur souvenir possible d’une mère qui n’a jamais voulu de lui.
— Je ne l’ai pas tuée.
***
Quelques fois, Siwon va sur le toit de son immeuble pour contempler le ciel, faire l’inventaire de toutes ces étoiles qu’il reconnaît et qui se reflètent dans ses iris aussi sombre que le cosmos.
Il se rappelle alors de ce temps où il ne savait pas où aller, où peu importe où il pouvait s’arrêter, il se faisait chasser, à faire les poubelles des invendus des supérettes pour pouvoir manger gratuitement, à ne pas pouvoir dormir à cause du froid. Ses amis n’en ont jamais rien su. Il n’a jamais voulu demander de l’aide à qui que ce soit. C’est ironique quand il y pense.
Sur ce toit, il reste longtemps pensif. Il se demande s’il as suivi le même chemin que sa mère, ou s’il a réussi à faire un peu mieux. La seule chose sur laquelle il semble faire mieux, c’est la drogue. Du moins les drogues dures. Le cannabis c’est son quotidien, il en fume dès qu’il en a l’occasion, ou dès qu’il se sent stressé ou angoissé. Et pourtant, tout comme elle était une croqueuse d’hommes, lui, il dévore les femmes une à une, sans se soucier de ce que l’on pourra dire de lui, ou même de ce que l’on pourra dire d’elles. Quand il y pense, c’est un phénomène qui s’est grandement accentué depuis qu’il travaille pour Na Bi. Il gère ses clubs et ses bordels, mais l’ambiance lubrique qui peut régner dans certains de ses endroits, voire la majorité, finissent par déteindre sur le jeune homme il faut croire. C’est devenu un véritable homme à femme. C’est pas si étonnant ça, se dit-il dans un soupir.
Et depuis son plus jeune âge, One a le don de paralyser des êtres vivants, quel qu’ils soit, pendant une durée limitée. Ca lui a été beaucoup utile notamment quand il devait voler pour se nourrir, ça lui permettait de se donner une marge pour s’enfuir. Maintenant, il s’en sert beaucoup moins, Na Bi est peut-être un peu trop honnête pour en abuser, mais ce n’est pas pour lui déplaire. Depuis qu’il le connaît, son patron a toujours essayé de le remettre plus ou moins dans le droit chemin, et il ne s’est pas trop mal débrouillé.
L’enfant prodigue, qu’ils disent, un enfant béni. Avec un certain sarcasme, Siwon s’est toujours demandé comment on pouvait bien vouloir bénir le fils d’une pute. Ca n’a jamais fait sens dans son esprit.
***
À une époque il avait un meilleur ami. C’est une époque révolue. Ils ne se sont pas disputé non loin de là. Il était malade. Très malade. Siwon a essayé de le sauver, accompagné de sa petite amie épleurée. Kibum, il savait qu’il allait mourir. Le mafieux se demande si finalement on ne se rend pas compte quand la mort est imminente. Siwon ne voulait pas le voir partir. Comme pour sa mère, il n’a jamais pleuré en public et il n’a surtout jamais pleurer devant Jisu, peu importe à quel point elle pouvait se montrer détruite, à quel point elle criait à l’agonie. La voir ainsi lui a brisé le cœur et en même temps, tout en étant absolument incapable de s’ouvrir pour laisser échapper cette peine. Il a presque cru qu’à un moment donné, il allait craquer, passant outre ses propres principes, bafouant ce qui pour lui semblait être la mémoire de son meilleur ami pour la tenir dans ses bras. Il ne l’a jamais fait, il n’y a plus jamais pensé.
Depuis ce jour, le Don Juan s’efforce de prendre soin d’elle et de la protéger. Il a toujours été là pour elle. Certains disent que la faire travailler dans son club n’est pas une bonne idée, que c’est malsain, que quelqu’un lui fera forcément du mal, et pourtant c’est le seul endroit où il est sûr de l’avoir à l’œil et s’assurer que personne ne lui fasse du mal, justement. Outre le fait qu’il s’agisse dans un club de strip-tease, les usagers réguliers savent qu’il ne faut pas toucher à cette fille, sous peine de sérieuses représailles de la part de son propriétaire. Tristement, les nouveaux venus risquent d’en faire la connaissance de manière assez violente. D’un autre côté, il doit aussi garder une certaine distance avec elle pour la protéger du monde de la pègre, qui n'hésitera pas à s’en servir comme un appât.
***
Durant plusieurs années, One traîne dans des affaires pas très nettes et fait beaucoup de choses répréhensibles ; du fait qu’il vit dans la rue, il lui arrive assez régulièrement de voler dans les supermarchés, notamment de quoi entretenir une hygiène correcte. Si faire du mal aux gens ne lui plaisait pas, il était tout de même présent lorsque ses acolytes rackettaient des gens, à titre d’exemple. Il n’y participait aucunement, regardant de loin avec un certain mépris.
C’est lorsqu’il a essayé de voler dans un magasin qu’il a rencontré Na Bi. Ce dernier l’a arrêté de cette erreur, qu’il avait commis à plusieurs reprises auparavant. Le plus âgé semble avoir vite compris ce qu’il se passait et lui est venu en aide, tout simplement. Il lui a fait une proposition qui pourrait lui permettre de changer sa vie.
Il lui a fallu un moment pour se laisser apprivoiser. En fait, le plus difficile, ça a été d’accepter que Na Bi, qui a le même âge que lui, le sorte de la rue pour en faire un de ses sous-fifres. Le pire dans tout ça, c’est qu’il n’a jamais accepté l’aide de Kibum et Jisu. L’avantage qu’il y voit, c’est qu’il compte donner tout son argent pour aider la jeune femme a payer les frais médicaux. Clairement, quand ils se sont rencontrés et qu’il a commencé à travailler Na Bi, Siwon faisait la gueule, y’a pas d’autres mots, un véritable chat, qui cracherait presque quand on s’approche de lui.
Il a vite pris du gallon, et son boss en a fait son bras gauche, le bras droit étant déjà occupé par Iryon, qu’il ne semble pas apprécier plus que ça. Avec le rang est venu l’argent, en quantité astronomique. Siwon n’a jamais su quoi faire de tout cet argent, lui qui a connu la rue. Il s’est offert un toit, et tout en conservant de quoi vivre convenablement, puis il distribue le reste : il fait tous les mois des dons à des associations de protection de l’enfance et à différents orphelinats, en espérant offrir un peu plus de joie à tous ces pauvres enfants. Il s’assure que la paie de Jisu soit assez grasse pour qu’elle vive dignement, elle aussi. Après tout, il a fait une promesse.
***
Sa respiration se fait hachurée.
Il a du mal à garder les yeux ouverts, tandis que le portrait de Jisu en train de pleurer se dessine entre ses cils. Il arrive à ouvrir un peu mieux les yeux, tandis que sa main, couverte de sang, se pose sur la joue de la jeune femme. One est toujours égal à lui-même, impassible, malgré la douleur qui lui tord les entrailles.
Comment en était-on arrivé là ?
— Ne pleure pas. Jisu a eu un problème. Siwon a à peine eu le temps de s’interposer. C’est lui qui a prit la balle destinée à tuer son amie. Il ne sait pas même pas ce que cette personne voulait de cette amie. Ses souvenirs sont très flous, au même titre que ceux de Jisu, qui eux, sont carrément inexistants. Son cerveau a décidé d’effacer ce moment de sa mémoire. Elle n’a absolument aucun souvenir de cette soirée, et de l’hôpital. C’était sûrement trop douloureux. Cette soirée restera définitivement floue pour l’un comme pour l’autre et ce, pour des raisons bien différentes.
Ils n’en ont jamais reparlé, même si Siwon a failli mourir cette nuit-là, lui s’en rappelle un peu plus.