Il ne marchait jamais tranquillement dans la rue, Jihan. Il n'arrivait jamais à se perdre entièrement dans sa marche ou à sa focaliser sur ses pas, comme son psychologue à Séoul lui avait conseillé. Il faisait croire que si. Il faisait semblant. Il regardait le paysage, de temps en temps, comme s'il faisait croire à quelqu'un qu'il était totalement inconscient. Mais Jihan se retournait plus d'une fois. Il arrêtait généralement de compter après six fois. Il jetait toujours un coup d'oeil par-dessus son épaule. C'était devenu une habitude. Une folle habitude, certes. Il aurait dû l'avoir avant, sans doute. Il se disait que s'il avait remarqué avant qu'elle était là, il aurait pu changé des choses – quelles choses exactement il n'en savait rien mais il aimait croire que quelque chose aurait changé. Alors il vérifiait souvent, maintenant. Il utilisait aussi les vitrines pour regarder derrière lui, par exemple. Ou alors il lui arrivait de sortir son téléphone, et d'activer la caméra pour filmer un peu ce qu'il se passait dans son dos. Il devait passer pour un mec bizarre, parfois, à agiter drôlement son téléphone pour avoir un bon angle. Le plus simple restait de se retourner. Il tentait de le faire le plus discrètement possible. Son ravisseur ne devait pas savoir qu'il savait. Parce que s'il savait qu'il savait il ne pourrait plus faire semblant de ne pas savoir – oui lui aussi se perdait dans cette idée. Et quand il voulait être prévenant dans le sens un peu trop large du terme, Jihan changeait de chemin... Enfin il changeait tout le temps de chemin. Il n'en avait pas un de fixe. Il essayait le moins possible d'emprunter les mêmes rues – il n'avait pas le choix parfois, alors quelques mètres plus loin il passait par une ruelle, histoire de. Ca le rassurait de faire ça. C'était pour semer son potentiel suiveur. Pour le faire douter chaque jour. Parce que, sérieusement, c'était idiot de toujours prendre la même pour rentrer. C'était comme mettre de grosses flèches sur le sol avec un panneau et un plan détaillé. Prendre des tas de routes différentes était bien plus intelligent – dans son esprit, en réalité ça ne changeait pas grand chose, il montrait tout de même un moyen d'arriver jusqu'à son appartement.

Il y croyait en tout cas, Jihan, et l'espoir faisait vivre, alors il espérait, aussi. Sauf qu'à force de passer par des ruelles qu'il ne connaissait ou de chemin de direction sans que lui-même ne sache où il va, eh bien, il se perdait. Comme actuellement. Il était perdu. Il ne savait pas du tout dans quel coin il était, mais il continuait d'avancer. Soupirant faiblement, il s'arrêta un instant, observant les différentes possibilités devant lui. A ce qu'il savait, il devait toujours tourner à droite pour revenir à son point de départ. Il prit alors à droite, pas trop rassuré, jetant un coup d’œil en arrière. Et son œil fut attiré par une silhouette. Il l'avait déjà croisé, un peu plus tôt. Il en était certain. Il accéléra le pas, tournant et retournant dans les rues, vérifiant toujours derrière lui. Il le suivait toujours. Et là, autant dire qu'il commençait sérieusement à flipper, Jihan.
La rue dans laquelle ils étaient était vide. Il n'y avait pas grand monde, et ça le ne rassurait pas des masses. Dans un élan de bravoure pur et dur, il se tourna brusquement, fixant le jeune homme, les yeux brillant d'angoisse. « Pourquoi vous me suivez ? », quelle charmante façon d'aborder les gens Jihan... « Je sais tout » … ou pas.

Tenue

Les mains dans les poches, Kim profitait de l'air frais en cette belle fin de journée, se baladant tranquillement dans les rues après avoir préféré se reposer la journée entière enfermé chez lui. Depuis deux jours, son rhume ne le lâchait plus. Rien de grave, juste une gêne constante, un nez bouché et une légère fièvre pointant le bout de son surplus de température de temps à autre. Il aurait pu appeler le directeur Ye et aller se faire consulter à l'hôpital, mais sa dernière consultation ne lui avait laissé qu'un gout amère en bouche, un gout amère et bien trop récent pour y songer. Il soupira rien qu'à cette pensée, puisqu'il serait bien obligé d'y retourner à un moment donné.

Pour autant, l'ancien directeur semblait de très bonne humeur. Lui qui n'avait jamais vraiment pris le temps de se mettre devant la télévision lorsqu'il vivait encore au manoir et exerçait encore ses fonctions au sein de l'entreprise familiale, il n'avait encore jamais profité des joies des drama coréens. Bien obligé d'être confiné au chaud pour se soigner, voilà chose réformée. Il ne se souvenait plus du nom mais les heures qu'il avait passées devant avaient été parsemées de rires et sourires autant idiots que débiles devant l’imbécillité voulue des actions irréfléchies des acteurs. Et des situations plus que cocasses.

Un énième sourire idiot d'ailleurs traversa les lèvres du métis en se ressassant l'une des scènes, les mains toujours dans les poches, avançant un peu au hasard sans prêter attention à son entourage. Enfin, jusqu'à ce qu'une personne ne s'arrête et le force à faire de même pour ne pas se prendre le museau dans le sien. Un instant, il bâtit des paupières bien trop vite pour que ses yeux ne suivent l'actions tandis que son cerveau tentait de comprendre ce dont l'inconnu parlait. Le suivre? Tout savoir? Comment ça?

Ses doigts continuellement attirés par les poches de son pantalon à pinces, Kim regarda autour d'eux, comme pour être sûr qu'effectivement, c'était bien de lui qu'il parlait, et aussi à lui. Personne. La situation entra enfin dans sa tête et un nouveau sourire le prit, cette fois ci, beaucoup plus taquin.

- Merde, j'suis découvert.

Devant son regard, les lèvre de Ha Ru laissèrent très rapidement se dévoiler quelques dents et ce dernier se remercia mentalement d'avoir toujours son masque pour dissimuler son amusement. Il n'était pas méchant, juste très joueur.

- Si tu sais tout, tu vas pouvoir me dire le nom, hum?

Autant jouer sur ses mots et le déstabiliser un peu plus dans sa paranoïa. Face aux lueurs de peurs se reflétant dans les yeux de son vis-à-vis, Ha Ru se sentit un poil dominant dans cet échange, comme s'il n'avait rien à craindre de lui. Personne n'avait l'air de bifurquer dans cette rue plus que déserte alors qu'un silence lui répondit.

- Bah? Tu m'as dit que tu savais tout. Y'a besoin que je m'exprime clairement sur ce que j'ai envie que tu me dises?

Pourquoi suivre un autre ? Une personne dont on ignorait tout. Ou plutôt sur laquelle on pensait tout savoir. Pourquoi aller jusque là ? Pourquoi devenir une ombre ? Son ombre ? Jihan s'était toujours demandé quel avait été le but réel de Su An – outre lui faire une frayeur à lui couper le souffler. L'effrayer ne pouvait être le motif premier. Ce serait totalement stupide, et se souvenant de la situation dans laquelle il avait été, non, ça ne pouvait pas être ça. Elle avait parlé d'un sentiment de trahison, à propos d'une rumeur. Ne savait-elle pas qu'une rumeur n'était pas forcément vraie ? Elle semblait y accorder de l'importance. Elle semblait croire que Jihan n'était qu'à elle. Comme s'il était une chose, un objet que l'on pouvait posséder et sur qui l'on pouvait poser une étiquette, et un collier. Comme s'il était un animal que l'on voulait tenir en laisse pour l'empêcher de trop s'éloigner. Il n'osait pas vraiment imaginer vers quoi tout cela aurait débordé si les choses avaient continué. Il n'osait pas penser au nombre de fois où elle avait tout s'introduire chez lui sans qu'il ne remarque rien. Dans ces cas-là, la fatigue n'avait rien de bon. Les détails ne lui sautaient pas aux yeux. Et même les autres jours, parfaitement éveillé, il n'avait rien vu. Ca lui faisait froid dans le dos. Ca le terrorisait. Et il ne pourrait jamais oublier cette sensation. Une sensation qu'il cultivait au quotidien. Une sensation qu'il vivait un peu trop souvent selon lui. Encore un peu, juste un peu, et peut-être bien qu'il deviendrait fou, Jihan. Peut-être même qu'il l'était déjà devenu, qui sait ?
Parce qu'il était quand même un peu allumé pour accuser le premier qui passait derrière lui de le suivre. Il lançait ça plus au hasard qu'autre chose, à bien y réfléchir. Dès que quelqu'un paraissait derrière lui depuis trop longtemps, il balisait, il paniquait et l'angoisse se faisait trop forte.

Mais il le tenait là, ce jeune homme. Pour simplement marcher dans la rue, oui. Il s'y attendait presque, à cette réplique – parce que les criminels n'avouaient jamais. Ou alors très rarement... Sauf lui. Un léger « Hein ? » écarta ses lèvres, la surprise se lisant sur son visage. Une fine pâleur s'y installa aussi, son cœur tambourinant un peu trop fort contre son torse. Il déglutit bruyamment. Il l'avait découvert ? Bon, il en était ravi mais... comment dire... Ca craignait pas mal, en fait. Il jeta un bref regard autour d'eux, paniquant encore plus en remarquant qu'il n'y avait personne. Forcément, comme si le destin se moquait clairement de lui. « Le nom ? Le tien ? Comment je le saurai ? C'est toi qui me suis, pas l'inverse », qu'il articula rapidement, reculant d'un pas. Courageux mais pas téméraire, fallait pas déconner. « Si tu sais tout ce que je sais, et donc qu'on sache la même chose, ça servirait à quoi que je te rappelle ce que je sais que tu sais que nous savons ? », il aurait pu faire plus simple mais autant essayer de troubler l'adversaire. « Exprime-toi clairement et articule bien », osa-t-il rajouter dans un élan de quelque chose qui était tout sauf du courage. « Pourquoi est-ce que tu me suis ? », demanda-t-il, la respiration un peu plus rapide, les prunelles s'égarant à nouveau autour d'eux pour tenter de trouver de l'aide.

Tenue

L'ancien directeur haussa un sourcil, clairement amusé par la situation, mais surtout les réactions de son vis-à-vis. Ce n'était pas la première fois qu'il essayait de faire tourner en bourrique quelqu'un tout en s'accordant une position pour le moins supérieur, même s'il s'agissait là de tenter de le faire avec une personne lui étant totalement inconnue. Une sale habitude due à son ancienne position dans l'entreprise familiale. Des pulsions totalement idiotes qui lui prenaient à la vue d'un de leurs employés en pleine galère.

Il n'essaya même pas de comprendre la phrase qui sortit d'une traite des lèvres du jeune homme, ayant décroché au deuxième "sais", mais lui répondit du tac au tac lorsqu'il osa lui ordonner de parler correctement. Ah bah tiens.

- Si tu sortais l'artichaut qu'il y a dans ta bouche j'y songerais peut-être.

S'il y avait bien une chose que Kim n'aimait pas, c'était bien qu'on lui parle sur le ton de l'impératif. Il ne sembla pourtant le remarquer, peut-être trop perdu dans un chamboule-tout de peur ou d'appréhension mélangée. Peut-être, il n'en savait rien mais il décida de pousser un peu son manège.

- Pourquoi tu me demandes la raison si l'une des premières choses que t'as pu me balancer fièrement, c'est "je sais tout", hum?

Penseur, Ha Ru pencha la tête sur le côté, ses prunelles plantées dans les siennes pour essayer de sonder le personnage. Avait-il déjà vécu la même situation pour en être aussi perturbé? Pourquoi donc se diriger dans une rue totalement vide pour ainsi affronter son poursuivant du coup? L'idée qu'il puisse se balader avec un taser lui traversa un instant l'esprit, lui intimant d'arrêter de se faire passer pour un stalkeur ou il ne savait trop quoi.

- J'voulais juste te faire remarquer que l'étiquette de ta veste ressortait depuis tout à l'heure mais j'osais pas t'aborder.

Un mensonge. Encore. Un tout petit qui lui ferait peut-être du bien. Ou du moins, ce qu'il crut jusqu'à ce que son vis-à-vis ne mette la main sur l'arrière de sa veste et n'y découvre une étiquette bien rangée, inexistante aux yeux des passants. Oups?

- Pour te demander où t'avais acheté ton jean…?

Froncement de sourcils. Okay okay il rendait les armes.

- J'déconne. J'me promenais juste, comme ça, pour prendre l'air, abdiqua-t-il tout en abaissant son masque afin de lui montrer son visage.

Nouveau silence suspect.

- Pourquoi j'ai l'impression que là tu m'crois encore moins? S'exclama-t-il, faussement vexé.

C'était quoi cette idée qu'il avait eue de changer de chemin tous les jours ? Si quelqu'un le suivait, qu'il change de rues ne changerait rien, la personne le suivra toujours. Pourtant, c'était logique pour lui. Logique de vouloir détourner l'attention, de faire croire qu'il habitait plus par ici et moins par là. Faire croire qu'il passait plus souvent dans cette ruelle que dans sa voisine... C'était logique. Jusqu'à ce qu'il se retrouve absolument seul face à un inconnu qui avouait le suivre. Là, c'était moins logique d'un coup et où était son fichu téléphone !?
Ses sourcils se froncèrent faiblement, et il s'humecta les lèvres, serrant rapidement les poings comme pour se donner du courage. « J'articule très bien merci. Si tu baissais ton masque, ça donnerait moins l'impression que t'as une patate chaude dans la bouche aussi », c'était quoi ça Jihan ? Une dispute de gamins de cinq ans ? Une patate chaude ? Sérieusement ? Il n'avait pas trouvé mieux sous la panique. Panique qu'il essayait tant bien que mal de dissimuler. Mais il la sentait, tambourinant contre son cœur et bouillonnant dans ses veines. S'il n'avait pas autant peur, il serait sans doute déjà parti en courant. Mais l'angoisse lui paralysait les jambes. « Je sais que tu me suis. Je sais pas pourquoi mais je sais que tu me suis, ça me suffit », parce que pour lui, le suivre c'était égal à « tout », oui. Ses doigts commencèrent à s'agiter, et il les cacha distraitement du mieux qu'il le pouvait. Hors cette peur qui brillait dans ses pupilles n'était pas invisible... « Bien sûr... », qu'il marmonna. Pour le principe, il vérifia tout de même. Parce qu'on ne savait jamais. Sa parano pouvait lui faire croire des choses, ce serait pas la première fois. Mais ne trouvant aucune étiquette, il lui lança un regard perdu mais aussi effrayé, reculant d'un pas. Il serra lentement les dents, contrôlant ses respirations. Il lui lança un nouveau regard, un peu plus noir, un peu plus angoissé. Ce n'était déjà pas drôle au début, ça l'était encore moins maintenant. « Parce que ce que tu dis n'a aucun sens ? Pourquoi avouer me suivre si au final tu t'intéresses à mon étiquette ou au jean que je porte ? », il le scruta de haut en bas, s'assurant de ne l'avoir jamais vu avant. « J'espère que tu te marres bien parce que c'est vraiment pas drôle », il était à deux doigts de paniquer sévère. Il déplaça ses pupilles brillantes vers le sol, inspirant profondément.

Tenue

Interloqué. Ha Ru l'était tout bonnement devant l'inconnu qui ne cessait d'aller d'illogisme en illogisme. D'abord il lui sortait qu'il savait tout. Puis il lui demandait de lui dire. Ensuite il lui affirmait que rien que le fait de savoir qu'il était suivi signifiait qu'il savait et que c'était tout ce dont il avait besoin. Pour au final quand même lui demander pourquoi avouer. Sa fièvre devait lui jouer des tours, voilà, y'avait pas d'autres explications et son cerveau s'amusait sans doute à chambouler tout cet amas d'informations.

- Bon. Mec. Je ne te suis pas, et je ne suis ni intéressé par ton jean et encore moins par ton étiquette. Je me promenais juste, un peu comme toi, non? C'est pas ce que tu faisais?

Après le mauvais temps s'étant abattu sur l'île ces derniers jours, il trouverait ça logique que la population profite de cette journée ensoleillée pour se réchauffer le corps comme l'âme et se débarrasser de l'air maussade des temps pluvieux. Peut-être pour remédier à la panique qu'il avait créée chez son vis-à-vis, Kim lui sourit amicalement et lâcha d'un ton se voulant détendu :

- J'ai pas flashé sur ton beau pti minois ne t'inquiète pas. J'vais pas me mettre à te stalker pour ça, ni même te stalker tout court.

Seulement, ce qu'il comptait être pris sur le ton de la rigolade sembla faire blanchir un peu plus le jeune homme et l'ancien directeur fronça cette fois-ci les sourcils, soudain vraiment alarmé par ses réactions et ses yeux brillants.

- Hey, ça va?

Le métis voulut s'approcher mais son vis-à-vis recula à nouveau, bien trop préoccupé à l'idée de conserver un certain espace de sécurité entre eux. S'il n'était inquiet à son sujet, Ha Ru émettrait fortement la possibilité qu'il soit comme lui, un gars traumatisé des contacts physiques. Au lieu de lui forcer la main, il préféra reporter son attention sur la rue dans laquelle ils avaient bifurqué et lança un coup d'œil à gauche, à droite et derrière lui, vérifiant ainsi s'ils n'étaient pas suivis.

- Tu te sens souvent suivi en ce moment? Tu veux que j'aille regarder aux alentours pour vérifier qu'il n'y a personne qui te cible en particulier?

Kim évita de trouver mille-et-une raisons pour lui prouver que non, il ne le suivait pas, parce qu'il doutait sincèrement que cet inconnu ne se mette à le croire lui et ses paroles, en un claquement de doigts.

Cette peur qu'il avait était absolument incontrôlable. Depuis Su An, chaque personne marchant derrière lui devenait directement un suspect potentiel. Il ne se sentait plus en sécurité nulle part. Ni chez lui, ni dans un café, et même pas au commissariat. C'était comme si Su An avait réussi à détruire la sûreté dans chacun des bâtiments qu'il pouvait connaître. Comme si elle avait réussi à gâcher ce sentiment de tranquillité n'importe où il allait. Il n'était plus du tout tranquille depuis. Ici, ou ailleurs. S'humectant lentement les lèvres, il fixa son interlocuteur, de plus en plus perturbé et perplexe. Pourquoi lui dire qu'il le suivait ? Pourquoi inventer ce souci avec l'étiquette ou l'envie soudaine d'acheter le même jean ? C'était vraiment... trop bizarre. « Je me promenais tranquillement jusqu'à ce que quelqu'un décide de me suivre », dit-il, presque boudeur, la peur éclatant malgré tout dans ses prunelles. Il n'arrivait pas à comprendre ce que lui voulait ce jeune homme. Il le perdait entre ce qu'il avait dit et ce qu'il disait maintenant. Ca l'embrouillait. Et ça l'effrayait, aussi. Il plissa les yeux à ses mots suivants, l'étudiant en silence. C'était pas ce qu'un stalker dirait, si ? Peut-être bien que si. Lui faire croire qu'il ne lui voulait rien pour pouvoir mieux le suivre après.

Déglutissant difficilement, il inspira à plusieurs reprises, se distrayant un instant en regardant le ciel, les murs, le sol. Son visage se tourna vers l'autre jeune homme, la frayeur clairement visible sur ses traits. Il souffla longuement, gardant cet espace entre eux pour son propre bien. Ses lèvres s'écartèrent quelque peu et le regarda dans un air penaud mais aussi totalement perdu. « Mais pourquoi tu... Qu'est-ce que... », il passa rapidement sa main sur son visage. « C'est gentil, mais tu n'es pas mon garde du corps. Ca va aller. Je gère », ça se voyait à quel point il gérait non ? Non. D'accord. Il ferma les yeux un bref instant, tentant de se calmer. « Pourquoi... avoir dit que tu me suivais ? », parvint-il à demander entre deux respirations saccadées, rouvrant les paupières pour le regarder. « Et pourquoi dire que tu me suivais pas au final ? », il lui jeta un regard suppliant, sursautant dans un léger son apeuré au contact du ventre contre sa nuque. Mais oui, il gérait parfaitement la situation...

Tenue

L'idée de continuer de se moquer de lui ne lui traversa l'esprit, pourtant le léger rire qui sortit de ses lèvres fut bien plus railleur que gentillet, à son grand regret. Ouais, il gérait, ça se voyait, mais tellement, à des kilomètres.

- Mec, je sais pas si c'est moi ou toi que t'essayes de convaincre mais juste pour te prévenir que tu t'y prends plutôt mal.

En tout cas, le jeune homme semblait un peu plus détendu, peut-être la conversation adoucissait ses traits durcis et … ah bah non, son manque d'oxygène et son sursaut informèrent Ha Ru qu'il était tout aussi apeuré qu'avant.

- Je voulais juste déconner, qu'il lâche, ses mains à nouveau au chaud dans ses poches.

Il préféra continuer de jouer la carte de l'honnêteté à présent, l'envie d'effrayer un peu plus la petite bête face à lui s'étant carapatée assez vite alors qu'il le voyait vraiment apeuré, malgré les quelques minutes passées depuis le début de leur petite conversation. Enfin, si on pouvait appelé ça comme ça.

- Je sais, c'est complètement bâtard et puéril, mais honnêtement, j'pensais pas t'allais flipper autant. Fin', j'veux dire, t'aurais pu me menacer d'appeler les flics, voir essayer de m'effrayer, puis me traiter de con et passer ton chemin en voyant que j'me foutais de ton museau.

Non longtemps de cela, Kim avait également fait l'objet d'un stalking. Une nana qu'il rencontrait bien trop souvent dans son champs de vision, qui fuyait dès lors il se retournait dans sa direction et tentait d'aller en sa rencontre. Une petite bien trop mignonne pour éveiller ne serait-ce qu'un soupçon parmi la population. Seulement Kim n'avait pas été dupe, avait joué le jeu de la souris et lui avait tendu un piège. La situation l'avait certes mise mal à l'aise lorsqu'il pouvait sentir ses yeux se poser sur lui, mais pas effrayé. Il essayait alors de se mettre à la place de son vis-à-vis, d'essayer de savoir pourquoi la panique s'inscrivait-elle autant dans ses iris à mesure qu'il les fixait, de le comprendre.

- Et justement si je t'ai dit que je ne te suivais pas c'était pour mettre fin à cette blague idiote. Je sais pas, t'as quand même été jusqu'à croire que j'en voulais qu'à ton étiquette ou alors ton jean. J'm'étais dit que tu te serais très vite fait la remarque que j'étais pas net et aurais alors repris ton chemin en balançant l’événement par-dessus ton épaule comme si de rien était. Honnêtement, je m'attendais pas du tout à ce que tu sois autant effrayé.

L'idée que l'inconnu soit suivi ne quitta son esprit malgré tout, et bien qu'il lui avait refusé l'aide en prétextant qu'il n'était son garde du corps, chose dont Ha Ru ne chercherait jamais prétendre l'être, il resta sur ses gardes, prêt à bondir sur la première personne qui tournerait ce que lui appelait une mauvaise blague à une vraie passion malsaine.

- Ah, et j'suis pas quelqu'un de pas net, si au cas ou tu viens de te faire la réflexion que je l'étais peut-être.

Bon. Ok. C'était vilain. Mais il fallait avouer que le jeune homme avait l'air plutôt doux malgré la peur qui l'habitait. S'il vous plait. Vous sortiez souvent un "c'est gentil", à la personne qui vous proposait de regarder les environs alors que vous la soupçonniez de vous suivre? L'idée de continuer à lui embrouiller le cerveau avait été tout bonnement trop tentante. Sans méchanceté bien sûr.

Le nez plissé, le visage un peu relevé, et les joues à peine gonflées il devait avouer que... le jeune homme face à lui marquait un point – il en avait marqué plusieurs depuis le début, certes, mais il préférait l'oublier. Il essayait de se convaincre, tout comme il essayait de le convaincre. « J'essaie au moins », qu'il marmonna presque boudeur. Pas de sa faute s'il était pas doué de ce côté-là. Pas de sa faute si on pouvait clairement dire qu'il faisait tout sauf gérer actuellement, surtout. Peut-être que s'il avait été un pro des arts martiaux ou quelque chose du genre il serait beaucoup plus sûr de lui – peut-être. Il se racla faiblement la gorge, bougeant ses épaules, pour tenter de se donner un courage qu'il n'avait pas. « Juste déconner... », qu'il répéta, l'air ahuri. Parce que c'était drôle ? Il en riait aux larmes là, ça se voyait pas ? Enfin ses yeux brillaient, oui, mais clairement pas de rire. Il le fixa, blasé, désespéré, apeuré. « Sérieusement ? Ca te fait rire ? », sa voix partant dans les aiguës indiqua que les émotions prenaient clairement le dessus. Il devait le croire là ou... ? C'était tout sauf... Oui, non, en fait c'était plus logique qu'il le dise pour rire plutôt qu'il ne le suive vraiment. Mais Jihan et sa paranoïa ne prenaient pas les choses comme ça. Pas du tout. « Je peux encore te traiter de con cela dit », articula-t-il, et il pouvait encore appeler la police, aussi. Il était tenté mais dire quoi ? Qu'un mec était intéressé par son jean ? Il passerait pour un fou et serait listé, oui. Il n'y gagnerait absolument rien. Il n'y avait rien gagné avec Su An, avant. « Je peux pas passer mon chemin quand on me suit » puis ce serait lui montrer directement le chemin de son appartement. Il était débile, Jihan, mais pas à ce point – ou presque pas du moins.

Il inspira un instant, détournant le regard la seconde d'après. Il ne pouvait clairement pas oublier l'événement ou le passer par-dessus l'épaule comme le disait si bien l'inconnu. Pas après ce qu'il avait vécu. « Ca t'effraie pas toi les gens qui te suivent ? Enfin qui disent te suivre mais en fait non mais en fait tu sais pas ? Parce qu'en soit je sais toujours pas tes vraies intentions », il parlait vite Jihan. Il était perdu, Jihan. « Tu dis que c'est une blague mais tu dois être le seul à trouver ça drôle. C'était pas drôle, c'est pas drôle et ce sera encore moins drôle demain », il agita brièvement ses mains, les passant ensuite dans ses cheveux dans un signe de nervosité avant de les faire retomber le long de son corps. « Disons que je te crois... », commença-t-il, prenant une longue pause, « Si je pars là maintenant tout de suite, tu vas pas me suivre c'est ça ? Et je te reverrai plus non plus, c'est ça ? », il se pinça les lèvres, tentant d'apaiser les battements de son cœur et sa respiration avant qu'une idée saugrenue ne lui vienne en tête. Il écarquilla les yeux, l'air effaré, son souffle s'accélérant au lieu de ralentir. « T'as un complice c'est ça ? T'essaies pas de détourner mon attention là hein ? », il jeta un coup d’œil dans le reste de la ruelle. Il se faisait peur tout seul, Jihan. C'était un talent à ce niveau. Il fixa le jeune homme pendant de longues secondes, oscillant très nettement entre fondre en larmes et … fondre en larmes.

Tenue


Ha Ru leva les yeux en l'air devant tant de mauvaise foi émanant de son vis-à-vis, car oui, il lui était bien possible de continuer sa route malgré un suiveur non désiré. Attendez. Parce qu'il s'arrêtait à chaque fois que l'impression de se faire suivre le chatouillait? Il ne devait pas avoir la conscience tranquille le bonhomme.

- J'ai pas peur des gens qui me suivent, fit-il en haussant simplement les épaules. Ça m'est arrivé y'a pas longtemps. Et quand tu tombes sur un gars comme moi… hmm… dis toi juste que t'as croisé un énergumène de passage.

Amusé, Kim se retint de lui proposer de lui refaire la farce le lendemain, justement, pour avoir la preuve si celle-ci le devenait ou non, mais vu l'état de la situation, il doutait de l'effet.

- Si tu pars là maintenant, tu vas reprendre ta petite promenade et moi également. Et honnêtement, si on va se recroiser ou pas, j'en sais rien. J'viens d'emménager en ville et l'île ne paraît pas bien grande alors… si on cas où tu retombes sur ma bouille, panique pas, j'me baladerai sans doute, un peu comme juste avant que tu ne m'interrompes.

Penser que la situation s'était améliorée ne fut que de courte durée tandis que le jeune homme s'enfonçait toujours plus profond dans sa paranoïa. Heureusement que l'ancien directeur ne se décourageait pas à la première difficulté rencontrée. Mimant l'inconnu, il apporta lui aussi une main à ses cheveux, emmêlant ses mèches fines entre ses doigts longilignes. Gêné devant ses yeux larmoyants.

- J'ai pas de complices, et sérieusement, vu ton état j'en aurai pas besoin.

Ha Ru se pinça l'intérieur de sa lèvre entre ses dents. Lui qui ne voulait pas empirer les choses… Son manque de tact se faisait bien commère.

- J'ai aucun complices. Parce que je ne cherche pas à te suivre, à t'enlever ou à je ne sais quelles horreurs qui te traversent l'esprit.

Seulement, il n'était pas sûr que continuer l'honnêteté soit une bonne solution, vu l'effet qu'elle avait eu sur le jeune homme. Courageux mais pas patient, et aux grands maux les grands remèdes -car oui, victime lui aussi d'un traumatisme, il lui était à présent certain que son vis-à-vis avait vécu un incident bouleversant pour en arriver à une telle méfiance. D'un geste, Ha Ru ressortit les mains de ses poches et commença à jeter au sol tous ses effets personnels, à savoir ses clopes, son briquet, son porte monnaie, ses écouteurs, ses clefs de bagnoles et de maison et… le téléphone resta entre ses doigts, fallait pas abuser non plus. A présent le tissu de ses pockets au mieux retournées afin d'en montrer le vide, les objets éparpillés au sol, Kim posa une main sur ses hanches. Bon. La surprise avait l'air de rompre un instant ce début de peur lorgnant au coin de ses yeux.

- J'ai rien qui pourrait te faire de mal. En plus j'suis encore malade et rester ainsi dehors debout à rien faire alors qu'il a plu toute la journée va pas trop aider ma température à baisser. Si tu te reprends, j'suis sûr que tu pourrais me mettre à terre facilement alors ressaisie toi.

Kim renifla un coup. Il avait chaud, pourtant plusieurs frissons parsemaient son échine, et il était certain que cela n'avait rien à voir avec sa panique habituelle en présence d'une peau étrangère menaçant d'un peu trop près la sienne.

- Si quelqu'un te suit, t'appelles les flics, tu demandes de l'aide à un pote pour le coincer, tu peux même le confronter comme t'as essayé de le faire avec moi mais avec beaucoup plus de crédibilité par contre hein…

Tentant de le rassurer au mieux, le métis lui sourit, bien qu'il n'était même pas sûr que cela fonctionne.

- De quelle preuve as-tu besoin, dis moi? On sera fixé au moins.

Ha Ru commençait légèrement à perdre patience et ne saurait s'il pourrait rester calme plus longtemps à force de se faire accuser à tort et à travers.