« Ouais ouais, pose des questions ». Je m’en fichais de ça. En vrai, je connaissais Kevin assez bien pour me douter que mater des séries c’était pas son truc. Il préférait peut-être des zaps de fails ou des trucs débiles mais attirants. Je soupire lorsqu’il me somme de ne pas m’endormir. Je ne dormais pas, loin de là. J’étais belle est bien réveillée alors que ce grand dadet trouvait encore le moyen de se la ramener. Mais je m’en fiche. Je prends la bière, la mienne, qu’il avait entre les mains pour la boire, marmonnant un « pff. » Puis, quand elle est vide, je repose la cannette par terre, me penchant par dessus. Wow, ça tourne. Je me redresse, encore trop vite pour m’appuyer contre Kevin de nouveau, clignant des yeux encore quelques fois. L’alcool, ma kryptonite.

Je me reconcentre sur la série, enfin j’essaye. Honnêtement, Grimm c’était sympa, mais qu’est-ce que ça tournait en n’importe quoi. Un peu comme Kev et moi. Mais c’était pas aussi casse tête. Confortablement installée contre Kevin, je ne tardais cependant pas à me dire que c’était pas si mal. Merde, le gosse de neuf ans que j’avais connu s’était transformé en homme. Ça me rendais presque nostalgique, mais loin de là l’idée de revenir en arrière. « Si t’aimes pas on peut changer ». Ouais, parce que obliger quelqu’un à mater un truc qu’il n’aimait pas, c’était pas cool. Alors je lui tends la télécommande s’il voulait.

Elle chipe la bière comme une forcenée, toujours à cran celle-là. Je rigole, toujours. « Attention à pas me vomir dessus Yoo. » j’me marre pour rien, j’crois que c’est parce qu’il y a que ça à faire. Elle se redresse et, j’sais pas, j’la sens déjà ronde. C’est chaud j’aimerais pas avoir une résistance aussi faible à l’alcool. Une bière et c’est fini. « Cest bon ? » j’agite ma main devant ses yeux, me penchant doucement pour tenter d’apercevoir ses yeux qui doivent déjà commencer à pétiller. J’suis hilare. Elle prend la mouche et me file sa télécommande pour que je change mais, eh, j’suis chez elle et j’étais même pas censé rester ça va je vais pas lui changer sa série qu’elle semblait suivre avec sérieux avant que je débarque. Je la soupçonne d’ailleurs d’avoir prévu son coup, sinon quel intérêt de me demander d’apporter à boire. Je soupire, rigole avec tout le mal que j’ai à reprendre mon sérieux, et me redresse pour passer mon bras par-dessus son épaule. « Mais non c’est bon, elle est bien ta série. » j’ferais bien une vanne comme quoi on vit déjà assez dans le surnaturel et les fantômes pour en plus devoir se le farcir en épisodes de quarante minutes mais encore une fois j’crois que c’est trop pour ce soir. « J’te laisse le lead. » je la serre doucement contre moi comme pour la taquiner en silence. J’m’en fou de toute.

Je ne réponds pas, me contentant de baisser la télécommande pour la laisser sur mon lit, simplement entre les bras de Kevin. C’était…étrange et à la fois agréable. L’affection entre nous se traduisait en silence, et jamais par des mots, mais encore une fois, c’était très rare, alors je n’allais pas m’en plaindre. Effectivement, regarder des trucs surnaturels alors qu’on vivait bien tout ça dans la vie réelle était presque redemander une dose d’horreur. Mais ça me confortait en me disait que tout pouvait arriver. « …Tu vas pas... te faire posséder ce soir hein ? » demandais-je mine de rien. En fait, rien que de penser à l’autre là qui avait pris la place de Kevin la soirée dernière m’avait refroidie, et je détestais cette personnalité immature, qui se croyait tout permis. Alors je me méfiais encore. Je n’avais pas envie de le revoir ce soir, je voulais juste voir Kevin, et c’était tout. Je le regarde avec une certaine gravité et méfiance de nouveau, prête à détecter la moindre anomalie, mais rien. Tout allait bien de son côté, du moins je l’imagine. Je préfère mettre les choses au plat, pour ne pas encore foirer cette soirée. Entre temps, je terminais ma cannette, l’alcool déjà en activité dans mon corps, qui rendait ma tête lourde, et m’embrouillais l’esprit. « Qui qu’il soit, je le déteste » déclarai-je haut et fort, serrant de nouveau mon coussin entre mes bras, comme une espèce de protection.

La série ne m’intéressant pas, je fais semblant de mater l’écran. Ma distraction est ailleurs. Mon oreille est toute tendue vers elle et je sens son insécurité quand elle évoque la possession, Yon. Ou disons qu’elle n’est pas à l’aise. ça n’a pas eu l’air de l’effrayer lorsque c’est arrivé mais j’imagine que vu de l’extérieur c’est quand même assez flippant. A vivre, encore pire. Yon peut faire peur tellement c’est un gamin, nous on est habitués depuis le temps. Je laisse un silence traîner, comprenant que je ne peux plus prétendre avoir été inconscient lorsque c’est arrivé. J’ai tout suivi, comme un simple témoin des agissements de mon propre être. Gore. Je réponds un « Non. » plus grave que ce que j’aurais voulu. Je sens le poids de son regard sur moi et je continue de regarder l’écran, j’dois avoir l’air fou tellement c’est pisté à dix mille que je me force de ne pas glisser mon regard vers elle. La serrant toujours contre moi, je finis par décrocher pour atterrir dans ses prunelles et c’est là qu’elle me dit qu’elle le déteste. ça me fait doucement sourire. « Et moi je l’adore c’est bien ça le problème. » je suis sérieux, pour une fois. On parle du seul sujet que j’ai du mal à aborder. « J’peux pas m’en passer. Mais j’ai fait en sorte qu’il nous laisse tranquilles ce soir, je l’ai laissé avec Nikki. » Je lui souris en me voulant rassurant, comme si c’était censé l’être. Elle a un air enfantin comme ça, j’peux pas m’empêcher de trouver ça mignon. Trop concentré sur son visage, je recale une de ses mèches ébène derrière l’oreille avec la folle envie de l’embrasser. J’sais pas. Le timing est mauvais. « Je t’ai vu lui répondre. C’était mignon. » j’me retiens de rire parce qu’elle était chou avec ses papiers anti-fantômes. « Et moi tu m'as détesté ? » je suis curieux de sa réponse. De connaître la raison de son silence. Je suppose que oui.

Pauvre Nikki. C’est tout ce qui me vint à l’esprit. Mais j’y comprenais toujours que dalle à cette histoire de fantôme. Peut-être que je devrais en parler à Horang ? Qui sait, lui peut-être m’en parlerait en détails, sans secrets. Contrairement à Kevin qui lui, ne m’apprenait rien du tout alors que je venais de lui révéler mon secret. Mignon ? « Tss. Mignon. Tu parles. Il était prêt à me sauter dessus le sale con. » Kevin ou pas, je lui aurais fait bouffer son noeud pap ce soir là. Sa question m’arrache un petit rire. « Te détester ? Ouais, je t’ai détesté, plein de fois. C’est pas nouveau ça. Depuis qu’on est gosses, je pense qu’on a cette sorte de..rivalité ridicule. Mais, je te déteste pas. Enfin, je veux dire que je te déteste pas au point de te faire des crasses ». J’étais pas douée pour les explications, ni en ce qui concernait les sentiments. « Mais ce soir là, je t’ai vraiment détesté. Je savais que j’étais bizarre, mais le fait que tu ne m’aies pas tout dit après ce qu’il s’est passé, je me suis sentie vraiment conne. » C’était quelque chose qui me mettait mal à l’aise. Mais pourquoi il me posait cette question ce con ? « Pourquoi tu me demandes ça ? » Je le regarde de nouveau, plongeant mes yeux dans les siens sans gêne. C’est pas comme si j’éprouvais des sentiments amoureux pour lui. Je reconnaissais sans peine qu’il était attirant, et qu’il avait des atouts que d’autres n’avaient pas. Mais Kevin, c’était presque un…meilleur ami d’enfance. Un espèce d’interdit ou de tabou qui m’empêchait de ressentir quelque chose de fort comme de l’amour. Mon amitié n’était-elle pas suffisant comme amour ? Ah, rien que d’y penser j’en avais mal à la tête.

Je la regarde un instant comme mis sur pause, prit par surprise. « Sale con ? » j’éclate de rire. Putain je m’y attendais pas. « J’te jure qu’il est sympa, c’est difficile pour lui. » j’essaie de défendre l’honneur de mon pote, la prunelle de mes yeux. Plus sérieusement je lui demande si elle m’a détesté, ce soir-là. D’après elle c’est permanent, ok ça j’le savais, mais moi j’parle de quelque chose de plus profond. Elle part dans des explications flippantes, j’arque un sourcil avec un léger mouvement de recul. « Non bah… tu m’rassures. » j’hausse les sourcils, je ??? Elle s’est un peu emballée, j’veux dire heureusement qu’elle n’a jamais pensé à me faire des crasses. Mais ce soir-là, dit-elle. Oui, ce soir-là. Cette soirée qui a viré au grand n’importe quoi. On s’amusait bien avant que Yon débarque pour faire son show. C’est vrai que j’ai déconné. J’ai fait semblant de ne pas être concerné, de ne pas avoir assisté à la scène. J’ai voulu esquiver la moindre explication, tout simplement parce que je n’ai jamais eu à en faire depuis ce jour où on s’est tous les quatre aperçus qu’on vivait la même chose avec le cinquième d’entre nous, ou du moins ce qu’il en reste. Un fantôme. J’suis un peu moins à l’aise, mes prunelles s’arrachent des siennes pour mater je ne sais quoi sur son épaule. « Mh. » C’est tout c’que j’raconte. Je rattrape son regard, il y a un truc à souligner dans tout ce qu’elle vient de dire. « J’voulais pas te lâcher. Désolé si t’en as eu l’impression. » Parce qu’elle s’est sentie conne, comme elle dit. Et si j’avais confessé ma malédiction et que la personne d’en face avait nié la sienne bah… j’me serais senti grave mal. Et j’ai pas géré. C’est un truc sérieux, les malédictions, faut pas déconner avec ça. « Ca m’aurait fait chier. T’aurais pu. » Elle me scrute comme si elle rentrait dans mon âme. Je soupire, laissant couler mon dos contre la tête de lit, arrivant à son niveau, regardant vaguement l’écran. « J’en ai jamais parlé. J’y arrive pas, en fait. » Silence. Je réfléchi. Mais j’lui dois bien ça alors après tout… qu’est-ce que ça peut bien changer. « Personne ne l’a jamais démasqué donc y avait pas de raison de l’ébruiter. Mais toi, t’as tout compris. » Je pivote la tête en sa direction, à deux doigts de loucher pour pouvoir l’observer correctement. « T’es beaucoup trop perspicace Yoo. » j’esquisse un léger sourire, nos visage à quelques centimètres je sens le champ magnétique de son corps qui appelle le miens. Toujours pas le moment. Mais bordel, je la trouve carrément mignonne là. Ca m’fatigue. « Tu veux que cette fois-ci je te dise tout ? »

Alerte. Il est trop proche de moi. Mais je ne dis rien bizarrement parce que... parce que ça ne me dérange pas et j’ai pas envie qu’il s’éloigne. Mais je comprends ce qu’il dit. Ce n’est pas facile d’affronter les autres qui ne sont pas dans le truc pour comprendre ce qu’il t’arrive. Alors tu te tais tu feins l’ignorance pour qu’on te traite normalement. Mais moi, je n’y arrive pas. Du moins j’essaye. Mais j’ai déjà foiré avec mes parents. Ils ne me croient pas et ma mère qui est un peu haut perchée croit pouvoir me guérir avec des médecins de toute sortes même des chamans. Mais ils sont bien loin de la vérité. Alors je ne peux que comprendre Kevin. Naturellement, mes doigts cherchent ceux de Kevin pour y glisser les miens. « Raconte moi. » c’était déjà plus intéressant que Grimm, mais juste pour le fond je laissais la télé allumée. Je sonde son âme encore une fois à travers ses yeux, et merde. Je louche aussi sur ses lèvres deux secondes et ça me perturbe. Mais le timing était toujours pas au rendez-vous, alors je me retenais de me rapprocher encore plus pour l’embrasser, même si l’envie était là et que j’étais à deux doigts d’amorcer un geste. Mais je me retiens, je ne sais comment. « Je t’écouterai jusqu’au bout ». Ajoutai-je en regardant ailleurs, les jours rosies, et pas que à cause de l’alcool.

Haziel est beaucoup trop proche, j’en peux déjà plus de ce quart d’heure de torture mentale. « Ok. » Je suis dubitatif quant à son écoute, elle a déjà détourné le regard comme si elle ne voulait pas que je vois son jugement. Bon. J’imagine que j’ai pas le droit d’exprimer mes craintes après mon propre comportement de l’autre soir. « T’sais y avait Hazel, Horang, Nikki, Yon et moi. » Elle le connaissait aussi un peu, au moins au travers de mes récits et de tout ce qu’elle avait pu échanger avec l’Orange. « Bah. C’est toujours pareil » J’suis frileux dans mes explications. J’sais pas comment faire. Je regarde mes genoux plutôt que de chercher ses prunelles, mon pouce caressant le dessus de sa main. « On a foiré une incantation un jour. C’est comme ça que… qu’il y a eu un accident enfin bref. » C’est pas le plus important c’est bon, on s’en fou de ça. « Yon vit avec nous. J’le vois tout le temps. On passe pas mal de temps ensemble, il m’accompagne dans les missions à deux balles de mon père, on s’fait des tournées de bar bref on continue à vivre tu vois. » Je l’observe, pris dans mon explication mais y allant tout de même à tâtons. J’comprends mieux maintenant. Y a pas de machine arrière possible. Ça passe ou ça casse. « Mais c’est chaud pour lui parois que… que les gens puissent pas le voir. Donc il nous possède. Parfois avec notre permission… c’est mon frère, s’il demande j’peux pas refuser. » Il est trop important pour moi, c’est impossible autrement. « L’autre soir, il a débarqué dans la salle de réception bien avant qu’on monte. Il était à côté de moi, il faisait le con comme d’hab. » J’esquisse un sourire amusé parce que Yon c’est mon partenaire. J’pourrais pas me passer de lui. Je la dévisage, j’comprendrais qu’elle s’énerve. « Je savais ce qu’il allait faire mais j’peux pas l’empêcher. J’ai pas le droit, tu vois. » Je fronce les sourcils sous cette situation carrément causasse que je n’aurais pas su anticiper. « T’es vraiment la première personne à qui j’en parle. Genre… normalement ça reste entre nous. » J'crois pas que les autres seraient ravis, mais j'm'en fou.

. Je l’écoute attentivement et je me rends compte qu’il a du mal à s’exprimer sur Yon. Ouais. J’ai du ce qui était arrivé à Yon mais, jamais je n’aurais pensé cette malédiction s’abattre sur eux. J’en avais même un frisson. Ça veut dire que le fantôme qui m’avait presque fait frapper Kevin était son meilleur ami d’enfance mort ? Glauque. Dubitative, je sens quand même la colère s’emparer de moi. Il savait mais il ne peut pas l’empêcher ? Ou bien il ne veut pas. Je sais que c’est la culpabilité qui le tient, mais Yon ne doit pas faire que de bonnes actions lorsqu’il possède les gens. C’est ce que je me suis dit. Mais peu importe ce que je dirai sur lui, cela ne ferait pas changer d’avis Kevin sur lui. « Ouais... mais c’est différent. Je veux dire, je le vois pas directement mais... je sais capter sa présence ». A force de remarquer de petits détails à cause de cette malédiction qui me frappait, j’arrivais à déceler des bugs, des constantes bien précises. Mais cela restait effrayant. Pour moi, aucun être ne devrait savoir le temps de vie des autres. D’ailleurs cela me surprenait qu’il ne me demande pas ce que moi je voyais au dessus de sa tête. Rien à signaler pourtant, il n’allait pas mourir d’ici là. Mais moi, je ne savais pas si je serai là. Car la seule ironie du sort était que moi je ne pouvais pas voir mon propre compte à rebours.
Je lâche un soupire. «  Okay. C’est tout ce que je voulais entendre. Tu diras à Yon que peu importe sa manière d’être, je saurais toujours que c’est lui. ». De quoi le frustrer ? Il n’était pas habitué à ce que quelqu’un d’autre ne le remarque, manque de pot j’étais là. Je prends le visage de Kevin entre mes mains. «  Ça ira. » c’est tout ce que je pouvais lui dire.

Je ris. Je ris de sa naïveté, j’suis incapable d’en parler dans les détails parce que j’en ai pas vraiment envie, c’est juste que je lui devais bien ça. Du coup elle ne peut pas comprendre que jamais je ne dirai à Yon qu’elle est dans la capacité de le voir. « Justement, raison de plus pour ne rien lui dire. » Yon il est enfermé dans un espace-temps que personne ne peut capter. Il est isolé. C’est pour ça que je lui permets de prendre mon corps, parce qu’il rêverait de pouvoir discuter de nouveau avec le plus neutre des badauds. Il voudrait marcher dans la rue en saluant les commerçants, observer son reflet dans un miroir, s’enivrer de la chaleur des corps, picoler à l’excès et casser la gueule au premier qui le ferait chier. Juste pour le plaisir de toucher, d’être vu. D’être considéré. « Il aimerait beaucoup trop ça, on pourrait plus se voir. » Mon rire cache la pire des vérités : il déglingue nos vies. Nous sommes condamnés à rester à cinq. Nikki a perdu l’amour de sa vie, Horang se morfond derrière un bar, Hazel est stalkée et moi… s’est bien passé ce qu’il s’est passé à l’anniversaire de mamie. Ses mains se posent et sens qu’un tournant est pris. L’atmosphère a doucement changé. J’esquisse un maigre sourire, les prunelles plantées dans les siennes. J’ai jamais voulu songer au futur, on est bloqués pour l’éternité. Je sais que ça ira, ça va depuis des années et ça continuera comme ça ; à cinq. C’est silencieux. J’préfère ne pas répondre. Au lieu de ça je glisse à mon tour doucement mes mains sur chaque côté de son visage et l’instant a comme quelque chose de grave et de lourd. Doucement je dépose mes lèvres sur les siennes. C'est sincère, j'en avais vraiment envie. C'est chelou après toutes ces années mais j'y penserai plus tard, pour l'instant moi j'suis bien.