They said time heals. They lied. TicUne seconde.
Un battement. Un souffle. Un mot. Un geste. Une pensée. Un regard. Un sourire.
Tout naissait dans une seconde. La seconde décisive, comme certains disaient. Tout changeait. Tout commençait à partir de là, à partir de cette seconde précise.
Une seconde. Un temps court. Trop court pour être vraiment considéré comme important mais pas assez pour être comparé au néant.
Tac.Une autre seconde. Une autre respiration. Une syllabe. Un son. Un pas. Un mouvement. Il pouvait s'en passer des choses en une seconde, finalement.
Une seconde. Le temps d'un regret. D'un souhait. D'un rêve. D'un cauchemar. D'un espoir. Le temps d'ouvrir les yeux. Le temps de comprendre. Le temps de savoir. Ce n'était rien, une seconde. Absolument rien. C'était si petit. Si minuscule. A peine visible. A peine ressenti. Cela ne représentait rien par rapport à une minute, une heure, une journée. C'était microscopique.
Pourtant, l'on disait que toute une vie pouvait basculer en une seconde.
Tic. Tac. Tic. Tac.Il faisait parti de ceux qui disaient que tout pouvait basculer en un rien de temps. Il faisait parti de ceux qui donnaient de l'importance à une chose aussi minuscule. Une seconde. Ce fut tout ce dont le temps eut besoin pour faire virer sa vie du blanc au noir, du rêve au cauchemar. Ce fut ce «
Tac » bien sonore qui résonna comme une détonation, et ce «
Tic » qui lui fit écho juste après. Et encore après. Et encore après. Et encore... Une suite successive et rapide de coups, de sons stridents, s'emmêlant dans un tourbillon de bruits de fond désagréables.
Ils étaient au parc, ce jour-là. Ils avaient joué au basket, rien que tous les deux. Cela faisait un moment qu'ils ne s'étaient pas retrouvés, et ils avaient voulu profiter de cette belle journée ensoleillée. Tout était parfait. Il faisait chaud, mais pas trop. Ils riaient aux éclats toutes les deux minutes pour pas grand chose. Ils savouraient cet instant ensemble afin de renforcer leur lien. Les heures défilèrent sauvagement, et il fut bientôt l'heure de rentrer. Le parc était plein, ils croisaient du monde, d'autres pères, d'autres mères, d'autres enfants. Ils saluaient ceux qu'ils connaissaient, ils souriaient, insouciants. Tout allait bien.
Et la seconde d'après, tout allait mal.
Dean ne l'avait pas vu venir, ce type à l'air agacé, le visage froissé dans un air méprisant. Il ne l'avait pas vu sortir cette arme de son sac. Il avait juste entendu le premier coup de feu. Le premier d'une longue série.
Les aiguilles tournaient comme au ralenti, une seconde devenait une heure. Le temps semblait s'être arrêté, comme hypnotisé par le spectacle d'horreur qui se déroulait sous son regard neutre. Il n'entendait plus rien. Ou peut-être entendait-il trop de choses. Des cris, des appels à l'aide, les battements de son cœur, son ballon qui rebondissait gracieusement à ses pieds pour rouler tranquillement de l'autre côté, comme s'il fuyait.
Une autre seconde, et il fut projeté au sol, une plainte quittant sa bouche alors que sa main saignait sous la force du choc. Il lança un regard perdu et apeuré à son père, et ce dernier commença à dire quelque chose, avant de s'écrouler lourdement dans un silence de plomb. Les derniers coups de feu ne furent qu'une mélodie chaotique, se mêlant à ce chant lyrique de cris d'inconnu.e.s. Un tapis rougeâtre commençait à plonger vers lui alors qu'il se redressait avec hâte, les mains posés sur le torse de son géniteur, peignant ses paumes de ce liquide à l'odeur rouillée.
Un bourdonnement ne cessait de résonner à ses oreilles alors qu'il n'entendait plus rien d'autre à part ce foutu temps qui s'écoulait et son cœur qui s'emballait. Ses lèvres s'écartèrent dans des sons silencieux, avant qu'il ne se tourne pour demander de l'aide, observant avec horreur le triste théâtre de ce parc d'un naturel si resplendissant.
Et quand il comprit, plus tard, que tout était fini, que son père n'était plus, un hurlement muet lui brûla la gorge alors que les larmes inondaient ses joues.
Les mois suivants furent longs, et difficiles. Dean restait enfermé et refusait de parler. Même à sa mère. Son état de santé s'aggravait. Il devait changer d'air, qu'en avait conclu les médecins. Et sa mère prit ce conseil à la lettre après quelques semaines : elle envoya Dean dans son pays natal, chez ses grand-parents. Elle ne vint pas tout de suite avec lui, voulant régler la paperasse concernant l'entreprise de son époux.
Cela n'aurait dû être que temporaire, ce changement d'air. Hors Dean refusa clairement de retourner dans ce pays qui lui avait enlevé son père.
Un professionnel lui avoua que le temps guérirait les plaies. Cela faisait dix ans, maintenant, et les blessures n'étaient toujours pas guéries. Au contraire, elles étaient toujours ouvertes. Toujours à vif. Toujours là. En parlant était impossible mais y penser était son quotidien.